Avis de disparition

Publié le 17/02/2023
Article réservé aux abonnés

Le médecin de famille est mort et personne n’est venu à son enterrement. Rien d’étonnant à cela, il n’y a pas eu d’avis de décès. En fait, il semblerait qu’il ait disparu corps et âme sans que personne ne s’en soit rendu compte. Et pourtant, aujourd’hui il est mort et bien mort. Il n’y a aucun doute là-dessus.

Curieusement, pas un patient n’a déploré sa disparition !

Bien sûr, ils ont tous eu, et ont encore le sentiment, que quelque chose s’est passé au niveau de la permanence des soins. Mais les patients d’hier et les patients d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes. Les seconds sont les enfants des premiers. Quoi qu’il en soit, tout assuré social qui n’a plus de médecin référent constate qu’il est difficile aujourd’hui de trouver un cabinet médical où on acceptera de le soigner. Et chercher un praticien disponible, en l’absence de son médecin référent, devient un véritable parcours du combattant.

Le conseil de l’Ordre, lui non plus, ne s’est pas manifesté sur cette disparition. Hier encore il vantait pourtant les mérites de cet être d’exception, véritable figure de proue de toute une corporation, dévoué corps et âme à l’exercice de sa profession.

Le serment d’Hypocrate qui hier encore régnait sur toute la profession et lui donnait ses lettres de noblesse n’est aujourd’hui plus que l’ombre de lui-même. Plus personne n’ose en parler !

--

Je venais de rédiger ce court texte lorsque j’ai rencontré un ami et confrère. En quelques minutes, il m’a fait part de son point de vue. Je ne résiste pas au désir de vous le faire partager.

« Il y a pas mal de temps qu’on nous rebat les oreilles avec la pénurie de médecins. Je ne sais pas quel est ton avis sur le sujet. Personnellement, je pense que c’est avant tout un leurre.

— Un leurre ! lui ai-je dit, surpris.

— Oui, je dis bien, un leurre. On fixe notre attention sur ce point en laissant croire que c’est la cause de tous nos problèmes. Les politiques feignent la surprise, les patients pensent que c’est le numerus clausus qu’on a oublié de débloquer ! Eh bien figure toi qu’à mon avis l’explication est tout autre.

Et il a enchaîné :

— Je veux bien qu’il y ait aujourd’hui plus d’assurés sociaux, mais ce n’est pas une explication suffisante ! Quant au nombre de médecins, effectivement, on n’a peut-être pas augmenté suffisamment le numerus clausus, mais on ne l’a pas diminué non plus. Donc, logiquement il devrait y avoir le même nombre de diplômés à sortir chaque année des facultés. Selon moi, la vraie raison, c’est que de nos jours il y a avant tout une désaffection pour la valeur travail. D’ailleurs, le phénomène ne touche pas que la médecine. Il se ressent un peu partout dans la société.

— Tu veux dire qu’en réalité, il n’y aurait pas de problème d’effectifs ? me suis-je exclamé.

— Il y a un problème d’effectif, mais surtout dans la mesure où l’effectif n’est pas là où on l’attend. En fait, il faudrait qu’on le reconnaisse une bonne fois pour toutes ; les jeunes générations bossent beaucoup moins que leurs aînés. Pour moi, c’est ici que se trouve l’explication numéro un de ce que l’on nomme aujourd’hui la pénurie de médecins.

Un grand nombre d’entre eux ne souhaitent tout simplement pas mettre le pied à l’étrier : ils tardent à s’installer car ils veulent rester libres et sans la contrainte que constitue l’installation. Quant à ceux qui ont franchi le pas, ils semblent avoir juré mordicus qu’ils ne se laisseraient pas prendre au piège des semaines bien remplies et des journées qui n’en finissent pas. Bref, ils ne veulent pas faire ce qu’ont fait leurs aînés. Tu ajoutes à cela la féminisation de la profession qui va grandissante. Les femmes veulent voir grandir leurs enfants, ce que l’on peut bien sûr comprendre. Et là, tu as toutes les données pour expliquer cette pseudo-pénurie. Vois-tu, c’est ici que cette pénurie rejoint la disparition du médecin de famille. C’est cette génération de nouveaux confrères qui sans même s’en rendre compte a fini par donner le coup de grâce au médecin de famille.

— Tu y vas fort ! C’est curieux ce que tu avances. On entend dire partout que les médecins sont surchargés, au bord du burn-out.

— C’est évidemment possible pour quelques-uns d’entre eux, comme ça l’a toujours été, mais certainement pas pour tous ! J’aimerais bien avoir une étude qui nous montrerait quel est le temps hebdomadaire réel passé au travail par tous les médecins de France. Je suis certain qu’on aurait des surprises. Certains travaillent encore beaucoup, je n’en doute pas. Mais un grand nombre est loin d’être menacé par le burn-out.

L’explication est en fait assez simple. Et tu me pardonneras si je ne prends pas de gants, pour moi, la disponibilité énorme du médecin de famille d’hier n’est évidemment pas compatible avec le mode de fonctionnement actuel des jeunes confrères. Rends-toi compte, ils sont maintenant parfois carrément adeptes du salariat et quand ce n’est pas le cas, un certain nombre d’entre eux travaillent à mi-temps ou parfois à tiers-temps.»

--

Si je ne partage pas entièrement les propos de mon ami, je dois reconnaître que son discours n’est pas dénué d’intérêt et qu’il recèle une part de vérité.

Vous souhaitez vous aussi commenter l'actualité de votre profession dans « Le Quotidien du Médecin » ? Adressez vos contributions à aurelie.dureuil@gpsante.fr .

Médecin généraliste à Port-Brillet (53)

Dr Bernard Riou

Source : Le Quotidien du médecin