Je suis médecin généraliste, 30 ans, thésée depuis 2020. J'ai remplacé en libéral ainsi qu'en hospitalier/clinique, je connais donc les deux côtés du décor.
Pour la médecine de ville
J'ai arrêté les remplacements suite à un début de burn-out car la pression n'est pas tenable en cabinet. Difficultés majeures pour avoir des avis d'autres spécialistes, impossibilité d'hospitaliser si besoin (notamment nos personnes âgées fragiles), paperasse inutile ("certifalacon") toute la journée, surconsommation de soins des patients, patients irrespectueux, tarif de la consultation minable pour le travail effectué (annoncer et accompagner des maladies graves, fin de vie, soutien psychologique, patients polypathologiques lourds, etc.).
Les solutions : gain de temps médical avec fin des certificats inutiles (arrêt de moins de trois jours, mots pour la crèche ou la cantine, certificat de sport pour les sports non à risque etc.), fin des forfaits (ROSP, qui en plus sont calculés de façon très obscure), revalorisation conséquente de la consultation au niveau de la moyenne européenne (50 euros minimum), réouverture de lits d'hospitalisation complète pour que la gestion des patients lourds en ville soit plus fluide. Nous savons déjà très bien collaborer avec les infirmières, kiné, pharmaciens et spécialistes de nos bassins. Pas besoin de rajouter des couches administratives en plus avec les CPTS et autres joyeusetés !
La réponse du gouvernement ?
Ce qui est proposé par le gouvernement sans concertation ni négociation : plus de forfaits ; une revalorisation insultante d'1,50 euro ; des délégations des tâches dites "simples" (il faut bien ne pas être médecin pour penser qu'il y a des choses simples en médecine !). Mais aussi une proposition de loi Valletoux instaurant la coercition avec la fin de liberté d'installation comme s’il y avait des bassins surdotés. Déshabiller Paul pour habiller Jacques n'a jamais été une solution. Contraindre ne fera que faire fuir les internes pour notre spécialité de médecine générale (qui est déjà l'une des plus dévalorisée). Et une proposition de loi rendant responsables les professionnels de santé des déserts médicaux et des carences en soins qui sont de la faute des gouvernements successifs et de leur choix douteux depuis 30 ans (comme c'est facile !!!).
Bref : exactement tout l'inverse de ce qu'il faut faire…
Côté hospitalier
Depuis 20 ans, fermeture des lits d'hospitalisation complète (- 120 000) au profit de l'ouverture des lits d'hospitalisation ambulatoire grâce à la T2A qui a fait de la médecine une médecine comptable pour gagner plus vite de l'argent avec des soins courts. Le management financier n'a pas sa place en médecine. Nous soignons des gens pas des patates et des haricots.
Sans compter le manque d'investissement massif et l'augmentation de la dette des hôpitaux ; la non-revalorisation des personnels soignants (que ce soit les ASH, AS, IDE ou médecins) ; la perte de quatre échelons avec le Ségur pour certains PH…
Le plafonnement des salaires des médecins hospitaliers remplaçants qui viennent aider à tenir à bout de bras des services qui s'effondrent avec des titulaires épuisés par le manque de moyens et de personnel. Des médecins remplacent de temps en temps trois titulaires à la fois !
Les lois de l'offre et la demande ne fonctionnent que pour les grands groupes mais, quand il s'agit des médecins, on souhaite les payer moins alors qu'ils sont rares et compétents (notre formation en France est vraiment de très haute qualité). Nous pouvons proposer également de plafonner les revenus des PDG (on verrait alors si ça plairait à M. Pouyanné de ne plus toucher 500 000 euros par mois… Notons que les médecins sont très loin de tel salaire évidemment que ce soit en libéral ou en structure).
Résultat : reconversion, burn-out, suicide, expatriation.
Pas de remise en question ?
Le plus inquiétant pour ma part : le Président et le gouvernement sont satisfaits d’eux-mêmes et de leurs décisions sans se remettre une seule fois en question.
Mais, eux ne risquent rien : ils auront des médecins privés s'il leur arrive quoi que ce soit (qui ne seront pas rémunérés 25 euros la consultation au demeurant).
Tant pis pour le reste des Français qui subiront la médecine à deux vitesses dans laquelle ce gouvernement nous jette. Car il ne faut pas se leurrer, ils ne sont pas idiots. C'est voulu. Probablement parce que cela profite aux grands groupes : qui montent des cabinets salariant à bas coûts les médecins généralistes, les cliniques privées prospèrent en essayant même de baisser les tarifs des remplaçants dans le privé maintenant (car ça maximise leur profit évidemment).
Je suis écœurée et j'ai beau me battre pour la médecine de ville comme la médecine hospitalière, il ne restera guère de choix si on veut encore exercer dans de bonnes de conditions (c’est-à-dire avec des moyens pour prendre en charge correctement nos patients, ce qui n'est clairement pas le cas en France en ce moment !) tout en étant respecté pour nos compétences…
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