Dans le merveilleux monde de la santé, le temps ne s’écoule pas tout à fait comme ailleurs. On dirait qu’il s’est arrêté quelque part entre la réforme Juppé et le dernier épisode de Urgences. Pourtant, en 2025, les jeunes médecins ne rêvent plus de s’installer dans des cabinets isolés, au bout d’un chemin communal, avec des horaires à rallonge, une pile de dossiers papier et une boîte de Doliprane pour seule équipe. Incroyable, non ? Heureusement pour nous, nos décideurs, eux, ont gardé le cap. Un cap ferme, stable, rassurant : celui de 1990. Installés confortablement dans leurs bureaux feutrés, ils élaborent des mesures à coups de circulaires, sans jamais, ou si rarement, venir demander leur avis aux acteurs de terrain. Après tout, les jeunes, c’est bien connu, ne savent pas ce qu’ils veulent. Ils n’ont qu’à écouter la voix de leurs sages aînés, ministres et tutelles, qui, eux, savent.
On s’étonne que les jeunes ne veuillent plus “s’installer”. Mais que leur propose-t-on, exactement ?
« Arrêtez de vous plaindre »
On s’étonne que les jeunes ne veuillent plus “s’installer”. Mais que leur propose-t-on, exactement ? Un cabinet dans un village déserté où la mairie aura, dans le meilleur des cas, acheté les murs et repeint les volets, comme si une couche de glycéro allait compenser l’absence de collègues, le manque de crèches et l’isolement professionnel. Et, surtout, on attend d’eux une disponibilité totale, un engagement sans limite, et une capacité de résilience à toute épreuve. On les regarde avec des yeux ronds quand ils parlent de temps partiel, de travail en équipe ou de refus de garde de nuit. C’est vrai que cette jeunesse a un drôle de culot. Le fossé générationnel est devenu un canyon. On veut des médecins de la génération Z… qui pensent comme ceux de la génération Zola. On regrette presque le bon vieux temps où le médecin était taillable et corvéable à merci, disponible 7 jours sur 7, et où l’épuisement faisait partie du contrat moral, rappelé même par certains médecins proches de la retraite : « Oh, j’ai fait de la médecine dans ces conditions-là et je n’en suis pas mort, arrêtez de vous plaindre. » Sauf que les jeunes, eux, ont vu ce que ça a donné : burn-out, dépressions, divorces et reconversions. Et ils ont le toupet de ne pas vouloir reproduire le modèle. Cela est sans doute dû à un manque de vocation, dit-on dans les hautes sphères. Comme si la qualité d’un soignant se mesurait à la quantité des sacrifices consentis.
Les jeunes innovent, réinventent…
Et le fossé s’inscrit également au niveau numérique, avec un grand écart digne d’une épreuve olympique entre nos brillants architectes de la santé connectée, qui conçoivent des outils informatiques peu ergonomiques, peu compatibles voire peu logiques, et des praticiens qui vivent au rythme des notifications, des plateformes, de la téléconsultation et de la coordination en ligne. Un peu comme si on confrontait des outils dignes de l’ORTF à une réalité TikTok. Après tout, les jeunes n’ont qu’à “s’adapter”. Et ils le font, malgré tout. Ils innovent, réinventent des modèles, testent des regroupements, s’investissent dans les MSP, les CPTS, à la recherche de travail collectif, de sens tout autant que de qualité de vie. Parce que c’est la condition sine qua non pour durer. Ce que certains prennent pour de la paresse n’est autre que de la lucidité.
Et pendant ce temps, les politiques continuent à jouer les scénaristes d’une mauvaise série télé en se disant qu’ils peuvent faire n’importe quoi puisqu’il y a peu de chance qu’ils soient reconduits la saison suivante. Ils légifèrent dans l’urgence, moralisent dans les médias et s’obstinent à parler des jeunes sans les écouter. Les internes ? Trop revendicatifs. Les remplaçants ? Trop désinvoltes. Les jeunes installés ? Trop exigeants. Bref, toujours un truc en trop. Refuser d’admettre que le monde a changé revient à imaginer qu’une génération ultra-connectée, mobile, sensible à l’équilibre de vie, ira spontanément se soumettre à un modèle qu’elle rejette massivement. À force de vouloir faire entrer les jeunes dans un cadre d’un autre âge, on les pousse à en sortir. Certains fuient vers l’hôpital, d’autres vers le salariat, d’autres encore vers l’étranger ou d’autres carrières. Et ceux qui restent s’accrochent et tentent de tenir bon, bien que gagnés par le doute quant à un quotidien qui serait bloqué sur une version Windows 95. Pourtant, nos élus l’assurent, on vit très bien en 1990.
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