Rien n’est plus tout à fait comme avant… La grande majorité des généralistes qui ont répondu à notre enquête en ligne dépeignent, en effet, des malades plus exigeants et pointent en particulier l’essor d’internet santé comme le moteur de cette mutation. En comparaison, les grandes réformes du XXIe siècle – droits des patients ou parcours de soins – n’auraient pas généré de tels bouleversements dans les cabinets. Résultats, analyse et témoignages…
Dans la mutation qui secoue la médecine générale depuis au moins dix ans, quelle part ont pris les patients ? Question jamais franchement posée et qui méritait donc qu’on la pose aux principaux intéressés : les médecins généralistes eux-mêmes. Le Généraliste a donc lancé en février-mars une grande enquête lecteurs sur le thème « Vos patients ont-ils changé » à laquelle 301 internautes ont répondu sur notre site internet. Et les résultats laissent supposer que la réponse est oui pour une grande part des praticiens. Lorsqu’on leur demande ce qui a le plus modifié la pratique ces dernières années, les avis sont certes partagés, mais la profession place ex-æquo en tête les relations médecins-caisses et celles avec les patients, citées, l’une comme l’autre par un tiers des répondants, loin devant la crise de la démographie médicale (19 %) ou l’émergence des recommandations (13 %).
[[asset:image:9466 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Consumérisme ?
Car les patients ont bien changé, la plupart des généralistes inclinent en ce sens. Ils sont ainsi au total 75 % à estimer que la perception du généraliste par ceux qu’il soigne n’est plus ce qu’elle était. Et, malheureusement, aux yeux d’une majorité des praticiens, ce n’est pas forcément en mieux. Pour près de sept sur dix, les patients ont une moins bonne perception qu’avant de leur médecin. La profession est décidément pessimiste, puisqu’elle estime aussi à une immense majorité (83 %) que les patients sont plus exigeants aujourd’hui qu’hier.
Nombre de courriers reçus à cette occasion pointent le « consumérisme » ambiant pour expliquer cela. D’aucuns s’en arrangent, d’autres pas. « La versatilité de certains, les reproches pour trois fois rien, l'absence de reconnaissance pour s'être particulièrement démené est sans doute le plus pénible à encaisser… Mais on sait que ça fait partie du métier… », observe, fataliste, un quadragénaire qui exerce en Vendée. « Le travail devient plus difficile et les consultations plus longues, car il faut parlementer avec le patient, il sait mieux que le soignant… », renchérit un quadragénaire du Loiret. « L’évolution de mes patients est un des facteurs de mon départ à la retraite en janvier 2015 », explique carrément un confrère marseillais de 68 ans.
à l’inverse, pour certains, la question est ailleurs. « C'est un peu plus compliqué qu'il y a 20 ans, mais le plus difficile c'est avec les caisses », soupire Pascale, 55 ans, qui exerce en Haute-Garonne. « Les patients restent gentils et sympathiques mais sont plus exigeants en ce qui concerne la rapidité d'obtention des RdV. Et ils ne se rendent absolument pas compte de la complexification croissante de notre travail », commente un praticien de Rouen.
Il faut croire d’ailleurs que cette exigence accrue ne rime pas forcément avec meilleure observance de l’ordonnance : si, pour une petite majorité (53 %), rien n’a changé de ce côté-là, 39 % estiment que la situation s’est, de ce point de vue, détériorée, 8 % seulement relevant une amélioration…
[[asset:image:9471 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]Internet a changé le colloque singulier
Comment en est-on arrivé là ? De l’avis général, Internet est pour beaucoup dans la métamorphose de vos salles d’attente. Dans les facteurs qui ont fait bouger le colloque singulier au XXIe siècle, la Toile arrive en effet nettement en tête, notée 4 sur une échelle de 5. Impossible désormais de faire l’impasse sur ce nouveau média au décours d’une consultation : 97 % des médecins de famille estiment que c’est désormais souvent (66 %) ou parfois (33 %) qu’une information glanée sur internet fait irruption dans le colloque singulier.
Pour le meilleur ou pour le pire ? Là encore, les médecins se montrent pessimistes, estimant que cela complique leur tâche (pour 69 % d’entre eux), plus que cela ne la facilite (10 %). « De plus en plus de questions à cause d'Internet et du manque de compréhension des patients », rapporte une consœur de l’Essonne. « Les patients cherchent sur internet ce qui fait écho à leurs propres réticences, sans aucun recul ni application de la balance bénéfice risque », renchérit une généraliste de Saint- Chamond dans la Loire. « Le patient, au centre de la décision, n’arrive pas à comprendre, ni faire le tri dans toutes les informations, qui lui sont données. Le médecin a le même poids que Doctissimo », râle un confrère du même département (voir aussi l'entretien avec Carole Deccache).
Dans notre enquête, d’autres facteurs sont ensuite mis en avant comme ayant pu influer sur la patientèle ces derniers temps. Comme la raréfaction des correspondants spécialistes dans certaines disciplines qui semble gêner de plus en plus de confrères. Ou l’essor des génériques au cours des années 2000 également évoqué par beaucoup, sans doute comme un perturbateur.
[[asset:image:9476 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]La crainte d'une mise en cause
La judiciarisation de la médecine n’est citée qu’en 4e position. Mais si elle paraît plus avoir influé sur la relation médecin-patients que l’essor des maladies chroniques, c’est sûrement parce qu’elle hante, épée de Damoclès, l’esprit de nombreux médecins traitants désormais. Pour preuve : ils ne sont qu’un sur cinq dans notre enquête à avoir fait l’objet d’une action en justice, mais huit sur dix avouent penser souvent (39 %) ou parfois (41 %) aux éventuelles conséquences judiciaires de leurs actes. C’est énorme, peut-être exagéré au regard de la sinistralité encore relativement modeste de la discipline par rapport à d’autres spécialités.
« Vu la judiciarisation, le médecin prend plus de précautions dans ses opinions, ce qui le fragilise d'avantage. Les conséquences sont l'errance médicale et diagnostique et un sur-usage d'examens et de consultations spécialiste », analyse un praticien installé en région Centre.
Le médecin traitant n'a pas changé la donne
En regard, les réformes de ces dernières années qui ont touché au parcours ou aux droits des patients ne semblent guère avoir changé la donne dans le colloque singulier… Et le plus étonnant est qu’elles étaient faites pour ça ! Prenons la réforme du médecin traitant. Dix ans après son entrée en vigueur, moins de la moitié des professionnels estime qu’elle a beaucoup (22 %) ou un peu (21 %) modifié la relation médecin-patient.
Trois ans plus tôt, la loi sur les droits des patients était promulguée. Mais, avec le recul, vu des cabinets, ces nouveaux droits à l’information et à l’accès direct de Monsieur Tout-le-monde à son dossier médical n’ont pas eu tant que cela d’incidences sur la relation au patient : 55 % des généralistes sont en tout cas de cet avis, seuls 14 % estimant à l’inverse que ces nouvelles prérogatives ont « beaucoup » joué sur le colloque singulier. Et quant à l’émergence des associations de patients, moins de 10 % des médecins les jugent utiles à sa pratique, le reste trouvant qu’elles ne lui servent à rien (46 %), ou qu’elles sont un problème de plus à prendre en considération (47 %)… Mais ces nouvelles entités semblent encore bien loin du quotidien du généraliste : pas un commentaire reçu n’en fait mention.
Plus proches des cabinets a priori et plus nouveaux aussi : les nouveaux concepts et process contribuant au suivi ou à l’éducation des patients. Mais ce n’est pas l’enthousiasme pour autant : objets connectés et applis sont-ils une aide à l’observance ? Non, estiment, définitifs, 62 % des généralistes. Et quant aux programmes de coaching type Sofia, Prado et autres Paerpa apparus ces dernières années, seul un répondant sur dix vote pour et souhaite que le mouvement se développe. Tout juste sont-ils plus intéressés vis-à-vis du Dossier médical partagé : près des deux tiers sont tout près de penser que cela améliorera le suivi du patient. Si les pouvoirs publics tiennent leurs promesses, ils devraient être bientôt exaucés !