Refondation du système de santé : le livre collectif qui invite Macron à tout changer

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Publié le 30/07/2020
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Crédit photo : Gdelacoste CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=71454576

« Et alors ! La réforme globale de la santé, c'est pour quand ? » : cette supplique lancée aux pouvoirs publics est aussi le titre du Grand prix BFM Business du livre* économique 2020, un ouvrage original — sous la direction de l'économiste et président fondateur de l'Institut Santé** Frédéric Bizard — qui propose une approche systémique de la reconstruction du système de santé avec deux virages : la prévention et l'ambulatoire.

Articulé autour de six axes (sociétal, santé publique, gouvernance, organisation, économie et technologie), cet opus transdisciplinaire qui emprunte les contributions d'une trentaine de médecins, philosophes, enseignants et directeurs de soins examine sous toutes ses coutures la crise « la plus profonde de son histoire » de notre système de santé, dont les fragilités ont été révélées pendant l'épidémie de coronavirus.

Triple choc

La thèse soutient que la crise actuelle, davantage qu'une pénurie de ressources, est d'abord une crise d'inadaptation à un environnement qui s'est transformé à grande vitesse sous l'effet de trois chocs (démographique, épidémiologique et technologique) qui rebattent les cartes de notre modèle imaginé après guerre.

Le diagnostic (brossé dans la toute première partie du livre) est très sévère. Certes, les principes cardinaux du système de santé français ne sont pas jetés aux orties (liberté de choix de son médecin, indépendance des praticiens, égalité d'accès à la qualité des soins, solidarité), mais ces piliers sont constitutifs d'un système à réinventer totalement.

Toutes les impasses sont passées en revue par cet ouvrage collaboratif : « crise existentielle » et panne d'attractivité à l'hôpital (le gouvernement vient d'apporter un début de réponse avec les accords salariaux du Ségur) ; désertification médicale en ville et fragilisation du monde libéral ; secteur médico-social en déshérence ; industrie pharmaceutique française qui a « largement perdu de sa compétitivité » ; manque d'efficacité illustré par le creusement des inégalités sociales de santé ou territoriales. « Pour les hommes, treize années d'espérance de vie séparent les 5 % les plus riches des 5 % les plus pauvres », peut-on lire.

Les dégâts de l'étatisation

S'ajoute à ce tableau une crise financière chronique malgré une dépense de santé de 11,3 % du PIB, plus élevée que la moyenne des pays développés. « La France sous-investit dans la prévention et l'action sur les déterminants de santé, sous-investit dans les soins ambulatoires et les innovations technologiques en santé. En revanche, le système génère de nombreuses dépenses improductives, dont les dépenses administratives élevées », lit-on. Et l'ouvrage d'épingler les 15,7 milliards de coûts de gestion de la santé, un « record en Europe ».

Crise de gouvernance enfin, le livre attribuant les prémices de l'étatisation des soins aux ordonnances Juppé de 1996, dérive technocratique amplifiée par la loi Bachelot (HPST), la suradministration de l'institution hospitalière, la tutelle « verticale » des agences régionales de santé (ARS) et plus récemment les groupements hospitaliers de territoire (GHT ; loi Touraine de 2016). « La centralisation de la gouvernance dans les mains de la technostructure induit un pilotage par des normes, souvent inadaptées à la réalité médicale du terrain », est-il écrit. Un diagnostic prémonitoire au moment où la crise a mis au jour les lourdeurs administratives et, à l'inverse, la capacité d'adaptation des soignants dans l'urgence.

Passer du curatif à la santé

Mais il s'agit surtout d'un livre de solutions, précédé d'une lettre ouverte au président de la République.

Pour corriger la gouvernance politique trop faible de la santé publique, caractérisée par un émiettement mortifère d'agences et un sous-investissement « malgré les discours lénifiants sur la prévention », l'ouvrage propose un basculement du centre de gravité de notre modèle du « soin vers la santé ». Découle de ce changement de paradigme toute une série de mesures : création d'un secrétariat d'État à la santé publique, instauration de l'Institut pour la qualité et l'équité en santé (IQES), de pôles régionaux de recherche et d'enseignement en santé publique… Les dépenses institutionnelles de prévention doivent être portées à 3 % du budget de la santé (passant de 6 à 9 milliards). Autre reco : incorporer un programme obligatoire sur la prévention et la santé environnementale dans les premières années des études médicales.

L'organisation des soins fait l'objet d'une remise à plat. À rebours d'une étatisation « sans vision et sans élan », l'Institut Santé milite pour un État stratège qui délègue la gestion opérationnelle de l'ensemble des soins à une Assurance-maladie renforcée. Au paritarisme de 1945, obsolète, l'ouvrage substitue un Parlement citoyen régional, avec représentants des collectivités, usagers, médecins et paramédicaux, entre autres. Le comité exécutif de l'Union nationale des caisses d'Assurance-maladie (UNCAM) piloterait les trois secteurs du soin (ville, hôpital et médico-social). En pratique, les règles de tarification des établissements publics et privés seraient donc dévolues à l'Assurance-maladie.

Contrat thérapeutique

La gestion opérationnelle des soins, elle, doit être complètement décentralisée. L'Institut Santé redonne vie aux Unions régionales des caisses d'assurance-maladie (URCAM) - que les ARS avaient absorbées - pour réguler l'offre de soins en région et gérer le risque santé. Elles sont chargées de contractualiser avec les professionnels et les établissements tandis que les caisses primaires deviennent opérateurs de la gouvernance territoriale.

Le big bang proposé rebat les cartes de la médecine de ville. Alors que l'« hospitalocentrisme marque notre système de santé », l'ouvrage appelle de ses vœux une vraie révolution des soins primaires. Elle repose sur une nouvelle gouvernance territoriale autour de 550 structures couvrant en moyenne 120 000 habitants, associant professionnels, usagers, universitaires — les élus ayant une place consultative. C'est cette gouvernance territoriale au plus près des besoins qui serait chargée de garantir l'accès aux soins, la permanence des soins (PDS), la coordination des parcours chroniques, la déclinaison des actions de prévention, l'accès aux innovations technologiques (DMP, télémédecine, IA), etc. Le think tank va loin puisqu'il propose une autonomie budgétaire de fonctionnement.

Cette recomposition passe aussi par la généralisation de pôles médicaux de proximité (PMP), structurant le premier recours (médecine générale, spécialisée, imagerie, biologie, paramédicaux, pharmaciens, etc.) à une échelle beaucoup plus fine que les actuelles communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).

Proposition originale : l'ouvrage envisage un « contrat thérapeutique » pour optimiser les parcours des patients en ALD, signé entre le médecin traitant coordinateur (doté d'un forfait valorisé), l'Assurance-maladie et le malade. « Ce contrat doit viser à rendre le patient le plus autonome possible », peut-on lire. Cette ambition est complétée par une montée en puissance de l'enseignement médical et de la recherche clinique en médecine de ville.

Payeur unique ?

Le livre égrène dans les autres chapitres des propositions fortes pour l'hôpital (pilotage régional, autonomie de gestion et du management, flexibilité sur le temps de travail, médicalisation de la gouvernance, remise à plat des carrières hospitalo-universitaires, etc.). Pour favoriser la gradation des soins et les liens avec la ville, trois modèles hospitaliers sont envisagés qui rejoignent par certains aspects la réforme actuelle des hôpitaux de proximité : une tête de réseau pour l'activité d'excellence ultra-spécialisée, des centres généralistes de moyen et long séjour (sans plateau technique) et des établissements ambulatoires spécialisés pour gérer les flux rapides de patients.

Mais la proposition la plus iconoclaste réside sans doute dans la mise en place d'une nouvelle architecture de financement avec un « payeur unique par prestation ». Dans ce nouveau modèle, mutuelles et assurances privées deviennent des organismes supplémentaires d'assurance santé (OSAS) et interviennent sur les prestations non couvertes. Un contrat homogène standard voté par le Parlement servirait de référentiel pour le marché, en termes de prix, de garanties et de services. À la clé, jure l'Institut Santé : une meilleure gestion du risque, davantage de lisibilité pour les assurés, un pilotage plus dynamique des prestations remboursées pour favoriser l'innovation et la réduction des coûts de gestion.

*« Et Alors ! La réforme globale de la santé c'est pour quand ? Plaidoyer pour une refondation de notre système de santé », sous la direction de Frédéric Bizard. Éditions Fauves, 330 pages, 22 euros.

**L'Institut Santé est un centre de recherche citoyen, apolitique et indépendant destiné à penser la refondation du système de santé français


Source : lequotidiendumedecin.fr