Les premiers jours, nous avons eu peur
Dans les premiers jours, on a vécu l’arrivée des malades comme un déferlement, un tsunami. La régulation des places était en continue. C’était impressionnant. Les patients arrivaient de façon permanente. De 16 lits de réanimation, nous sommes passé à 16, 24 puis 32. La mort rodait ; avec la sensation que l’équipe soignante cette fois pouvait ne pas être épargnée. Comme soignants, pour la première fois, nous avons eu peur, du moins dans les premiers jours de l’infection. Nous étions vulnérables. On pouvait être frappé par le virus et être tué dans les 15 jours. La tension était palpable. La rapidité de la maladie nous a impressionnés. D’un moment à l’autre un patient basculait sans signes annonciateurs dans l’irréversible. À cette vague qui emporte, s’ajoute le sentiment d’impuissance. Le malade est intubé et ventilé. Mais que faire ensuite en l’absence de traitement ? Très vite toutefois, l’équipe est redevenue professionnelle avec le sentiment très fort de solidarité, y compris avec l’administration. Les lignes bougeaient en permanence. L’inertie qui était hier impossible à vaincre était enfin vaincue. C’était un moment extraordinaire. Ces manifestations de solidarité se sont traduites en interne mais aussi avec l’arrivée de soignants en provenance de Brest, Bordeaux, Dax. L’association Protège ton Soignant nous a donné du matériel, notamment des respirateurs. L’AP-HP a pris le relais. En matière de médicaments, nous sommes toujours sous tension avec le recours à des protocoles thérapeutiques qui n’étaient plus d’actualité.
4 % de l’effectif a été contaminé
Nous n’avons pas toutefois été épargnés par le virus. Quatre pour cent de l’effectif a été contaminé surtout dans les premiers temps. Signalons aussi l’extrême réactivité du siège de l’AP-HP qui nous a accompagnés dès les premiers jours. On ne peut pas en dire autant de l’ARS souvent en seconde ligne, éloignée du terrain. Mais les crises révèlent aussi les failles humaines. La multiplication des essais cliniques sur de petits effectifs relève de l’opportunisme. Publier ou périr, dit-on… Avec la volonté de certains services de s’autoproclamer comme seule référence sur la prise en charge de patients Covid-19. Sur le plan éthique, en dépit de nombreuses alertes dans les médias, nous n’avons pas été confrontés à des cas de conscience. La prise en charge des patients, les conditions d’entrée en réanimation n’ont pas fait l’objet de modifications tout au long de la crise. Le seul critère d’admission reposait sur la capacité de supporter la ventilation mécanique invasive au moins 14 jours.
L’intérêt de l’OptiflowTM
Les patients qui présentaient un déficit musculaire, ne disposant pas d'une pleine autonomie, et pour lesquels le sevrage serait difficile n'étaient pas candidats à l'admission en réanimation. Mais la mise en place de ces critères est antérieure à l'arrivée du Covid-19. Sur 140 malades pris en charge, une limitation de soins a été décidée pour 23 d'entre eux. Nous n'avons pas refusé de malades pour manque de place. En revanche, je n'ai pas d'explications à ce jour concernant la surmortalité observée dans le 93.
La période a permis aussi un retour à la clinique. Les intubations au départ ont peut-être été trop nombreuses. Après quelques jours nous avons eu recours à l'OptiflowTM avec son haut débit en oxygène et son plus grand confort pour le patient que la ventilation mécanique. Cette technique a réduit au final de 50 % le nombre de patients intubés et les jours d'hospitalisation dans le service.
70 internes en formation, il en faudrait 140
Nous avons eu également très peur de ne plus pouvoir accueillir de nouveaux patients. Seul, le confinement nous a sauvés. Je redoute une seconde vague, à la fin du mois de juin. En dépit du confinement, on enregistre toujours des entrées à l'hôpital. Aujourd'hui, la baisse de pression est perceptible. On ferme des lits. Or, nous sommes tous très fatigués. Nous sommes sur le pont depuis le 9 mars. La solidarité nous a permis de tenir avec la venue spontanée d'anciens internes formés dans le service mais aussi de tous les autres services de l'hôpital y compris les chirurgiens.
Jusqu'à présent, le nombre de lits de réanimation nous paraissait suffisant même avec un taux d'occupation de 90 % sauf en Seine-Saint-Denis. Nous disposons seulement de 88 lits de réanimation pour 1,8 million d'habitants à comparer avec les 250 lits parisiens. Dans le même temps, des lits sont fermés depuis des années. Il aurait été indécent de demander l'octroi de lits supplémentaires pour les services de réanimation. En Europe, l'Allemagne se singularise par sa capacité d'accueil en réanimation. Nous avons toutefois mis en garde sur les besoins de formation en réanimation. Pour pallier les seuls départs en retraite dans notre discipline (médecine intensive et réanimation anciennement réanimation médicale), 140 internes devraient être formés chaque année. L'ARS nous accorde seulement 70 postes. L'avenir est sombre.
* Chef de service de réanimation, hôpital Avicenne, Bobigny.
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