Les médecins libéraux seraient-ils une espèce en voie de disparition ? Sans répondre complètement à cette question, la dernière étude du service statistique du ministère de la Santé alerte en tout cas sur l’évolution de leurs effectifs, notamment en médecine générale. Selon un modèle de projection toutes choses égales par ailleurs (donc à numerus clausus constant, à âge de départ inchangé et à comportements identiques des médecins), la part des libéraux passerait d’un médecin sur deux (47 %) aujourd’hui à 38 % en 2040, selon la DREES. Dans le même temps, la proportion d’exercice mixte augmenterait de 11 à 15 % et le salariat passerait de 42 à 46 %.
Et ce n’est là que la partie émergée de l’iceberg démographique. Car l’offre réelle de soins en libéral diminuerait encore davantage, selon les statisticiens. D’abord pour des raisons qui tiennent aux habitudes de travail des jeunes générations et à la féminisation de la profession. Le sujet fait depuis longtemps débat, mais les experts du ministère de la Santé sont formels : ces deux phénomènes conjugués « devraient conduire à une baisse de l’offre de soins », c’est-à-dire du nombre de médecins exerçant à temps plein. Bilan des courses : alors que les effectifs diminueront de 14 % de 2016 à 2027, l’offre de soins en médecine libérale chutera de 23 % pendant cette période. Ce recul sera accentué par une hausse dans le même temps de la demande de soins, liée au vieillissement de la population. L’offre libérale rapportée à la demande baisserait alors de 30 % jusqu’en 2027. Il s'agit, selon l'étude d'une baisse "marquée et durable", ses effets se prolongeant sur longue durée, puisqu’en 2040 l’offre de soins libérale serait toujours inférieure de 18 % à celle enregistrée en 2015 !
Toute la question est bien sûr de savoir si les pouvoirs publics pourront s’arranger de cette situation en tablant davantage sur la médecine salariée. L’étude permet presque de le penser, puisqu’elle ne prévoit qu'une diminution de 3 % de l’offre fournie par l’ensemble des médecins d’ici à 2019 et jusqu’à 9 % tout de même en 2023, en prenant en compte cette fois la hausse de la demande.
Les projections de la Drees montrent par ailleurs que – tous statuts confondus- la fonte des effectifs devrait particulièrement concerner la médecine générale : + 0,3 % pour les spécialistes d’ici à 2019, mais -1,2 % sur la même période pour les généralistes.
L'apport indispensable des confrères étrangers
Mais surtout, les chercheurs font la démonstration que l’avenir du système de soins français passe en partie par les médecins étrangers. Une hypothèse qui fera bondir Marine Le Pen, mais qui semble plus que réaliste. La Drees table sur une arrivée de 1 500 d’entre eux chaque année sur le marché hexagonal, qui est en fait le prolongement du flux actuel. Tout cela dynamiserait la démographie de ces ressortissants… et sauverait le système de santé français de la pénurie. En 2024, 6 % de nos médecins seraient ainsi diplômés à l’étranger et 9 % en 2030. Grâce à ces migrations, le nombre de médecins en activité resterait quasiment stable (-0,4%) autour de 215 000 entre 2016 et 2019 et il repartirait à la hausse dès 2020.
Tout cela – faut-il le rappeler ? - repose sur des projections à comportements stables. Le numerus clausus, mais aussi le choix d’exercice peuvent en réalité évoluer dans les années à venir. La Drees examine aussi une autre hypothèse : celle qui verrait les médecins continuer à travailler plus longtemps, observant d’ailleurs qu’avec le cumul emploi-retraite « les départs définitifs avant 65 ans sont actuellement nettement moins nombreux qu’auparavant. » Et d’observer que l’accentuation de ce phénomène pourrait avoir un effet d’autant plus important sur la stabilisation des effectifs, qu’à la différence du numerus clausus, il pourrait être immédiat.
Pour l'heure, ces projections commencent à inquiéter sérieusement les représentants des médecins libéraux. La CSMF a immédiatement réagi dans un communiqué, attirant l’attention du nouveau président et du prochain gouvernement "sur la crise sanitaire qui s’annonce". Et le syndicat de Jean-Paul Ortiz de marteler que "la médecine libérale, pas assez attractive, n’a pas eu les moyens nécessaires pour se restructurer, moderniser son organisation et valoriser ce mode d’exercice." Pour la Conf', "des mesures urgentes doivent inverser cette tendance".
Transition de genre : la Cpam du Bas-Rhin devant la justice
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme
Procès Le Scouarnec : la Ciivise appelle à mettre fin aux « silences » qui permettent les crimes