Peut-on évaluer avec précision un pronostic vital ? La question agite depuis des mois les parlementaires qui se penchent sur la proposition d’une ouverture d’une aide à mourir en France. C’est pour éclairer les discussions que la ministre de la Santé Catherine Vautrin, au printemps 2024, a demandé à la Haute Autorité de santé (HAS), de préciser les notions de « pronostic vital engagé à moyen terme » et d’« affection en phase avancée ou terminale », susceptibles de servir de critères – sans être pour autant les seuls – pour déterminer les personnes qui pourraient recourir à une substance létale.
« En l’absence de consensus médical, il s’avère impossible, quel que soit le critère retenu, de définir avec une certitude suffisante un pronostic temporel individuel », affirme la HAS dans ses conclusions publiées ce 6 mai. Soit une semaine avant l’examen en séance publique de la proposition de loi Falorni. Pour rappel, la dernière version telle qu’adoptée par la commission des affaires sociales propose un cumul de cinq critères pour pouvoir recourir à l’aide à mourir : être majeur, français ou résidant en France, être atteint d'une « affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée ou terminale », présenter « une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection, soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsque celle‑ci a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement » et manifester sa volonté de façon libre et éclairée.
Pour ce travail, la HAS a mis en place fin janvier un groupe d’experts composé de différents professionnels de santé et usagers, qui a épluché la littérature scientifique et les législations internationales, avant d’auditionner des experts français et internationaux issus de diverses disciplines (médicales et sciences humaines et sociales).
« À ce jour, il n’existe pas de consensus médical sur la définition du pronostic vital engagé “à moyen terme”, ni sur la notion de “phase avancée” lorsqu’elles sont envisagées dans une approche individuelle », lit-on. Impossible donc de préciser les contours de ces deux notions à l’aide de critères objectifs applicables à toute situation individuelle. Pour rappel, la notion de pronostic engagé à « moyen terme » figurait dans l’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique (par distinction avec le court terme pris en compte dans la loi Leonetti-Claeys pour la sédation profonde et continue jusqu’au décès), ainsi que dans le projet de loi initial de 2024, avant d’être retirée.
Une singularité insaisissable par les outils pronostiques
Certes, des outils existent tels que la question surprise (est-ce que je serais surpris si ce patient mourait dans les 6 à 12 prochains mois ?) ou des échelles (palliative prognostic index -PPI- ou score -Pap). Mais d’après la littérature médicale, leur fiabilité est insuffisante à l’échelle individuelle et l’incertitude augmente avec l’horizon temporel. S’ils permettent d’estimer un horizon temporel à l’échelle d’une maladie, ils passent à côté de la personne malade car ne permettent pas d’intégrer sa singularité, sa résilience individuelle, les particularités d’une relation de soin et des soins donnés ou encore les différentes trajectoires d’évolution possibles selon les pathologies. Sans compter, souligne la HAS, que l’évaluation temporelle du pronostic vital est marquée par la subjectivité du malade, qui a un ressenti spécifique de sa temporalité, en lien avec sa souffrance, son état émotionnel, l’appréciation de sa qualité de vie… Et par celle du soignant. « À noter que cette double subjectivité en peut cependant être mise sur le même plan, la personne malade étant seule légitime pour dire ce qui relève pour elle de l’insupportable », précise la HAS.
La preuve par l’exemple : aucun pays européen n’a retenu un critère d’ordre temporel dans la définition du « moyen terme ». Certains, comme le Québec, y ont même renoncé après une période d’application, argumente la HAS.
Quant à la notion de « phase avancée » (ou terminale) dans le cas d’une maladie incurable, celle-ci ne renvoie pas tant à l’échéance du décès (et donc à une donnée temporelle) qu’à la nature de la prise en charge et donc au parcours du malade. La phase avancée pourrait être définie comme l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie, propose la HAS. C’est notamment en ce sens, selon l’avis, qu’il faut l’entendre dans la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 : « Le médecin met en place l'ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même s'ils peuvent avoir comme effet d'abréger la vie. »
Plus largement, les travaux de la HAS ne permettent pas d’identifier de critère alternatif, qui permettrait de cerner un pronostic temporel individuel.
De l’importance de la délibération collective
Les experts insistent alors sur l’importance de la collégialité, dans le processus d’accompagnement et délibération, en amont d’une demande d’aide à mourir. Des réflexions que la HAS souhaite partager, alors que la collégialité est un autre des points de dissensus, dans les discussions relatives à la loi en préparation.
Ce processus doit impliquer la personne malade, et avec son accord, les professionnels de santé, et/ou toute personne ayant une relation de confiance et de proximité avec elle, ainsi que la personne de confiance. Le groupe suggère de privilégier une logique d’anticipation (et non de prédiction) de la fin de vie afin de permettre le cheminement de la personne, d’assumer l’incertitude inhérente à la maladie grave, de créer les conditions de la discussion pour parler de la mort, notamment dans le cadre de la prise en charge. Toute procéduralisation qui enfermerait les individus dans une approche normative est à éviter, alors qu’il s’agit d’aborder la question du sens de la vie et du reste à vivre et des dimensions existentielles et sociales de la souffrance. La HAS insiste sur l’importance de croiser les regards et de former les professionnels de santé à l’écoute et au dialogue autour de la fin de vie. Ceci « pour éviter tout risque d'obstination déraisonnable conduisant à des impasses de vie pour les patients », plaide la HAS.
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