Moins de 6 % des patients britanniques référés pour troubles du spectre autistique (TSA) ont obtenu un premier rendez-vous dans le délai recommandé de 13 semaines, selon les dernières statistiques du National Health Service (NHS), le service national de santé. Pour le Dr Jonathan Green, professeur en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université de Manchester, le problème est le même partout ailleurs. « Il y a beaucoup plus d’enfants diagnostiqués et l’idée même de l’autisme s’est étendue, commente-t-il. En conséquence, tous les services de santé sont débordés. »
Une étude parue en 2021 rapporte qu’entre 1998 et 2018, l’incidence de l’autisme au Royaume-Uni a connu une augmentation de 787 %. Les TSA sont plus fréquents, mais le phénomène s’explique aussi par l’augmentation des déclarations et de l’application du diagnostic, ainsi que le dépistage de nouvelles catégories de personnes, comme les adultes, les femmes et les « personnes à haut niveau de fonctionnement ».
En Angleterre, un enfant sera référé à un spécialiste sur la base de préoccupations cliniques : quand il ne répond pas à son prénom, évite le regard des autres, ou fait des mouvements répétitifs… Quant à l’évaluation par les spécialistes, la classification internationale des maladies, 10e révision (CIM-10) reste le guide de référence pour les praticiens de la santé mentale et constitue une norme pour le NHS.
Mais pour James Cusack, le directeur général de Autistica, un organisme de charité qui finance la recherche sur l’autisme, le système ne fonctionne pas. « Environ 172 000 personnes attendaient un rendez-vous d’évaluation en décembre 2023, précise-t-il. C’est une hausse de 50 % par rapport à 2022 et plus du double de 2021. » Il dénonce aussi une inconstance dans la façon dont le diagnostic est posé, ce qui crée des disparités à travers le pays. « Beaucoup de personnes référées ne sont pas diagnostiquées comme étant autistes, précise pour sa part le Dr Green. Souvent, un professionnel va dire à une famille : attendons et observons. Les familles sont alors laissées sans soutien pendant un, deux ou trois ans. »
Le psychologue clinicien William Mandy, professeur de troubles du neurodéveloppement à l’University College de Londres, souligne aussi les limites d’une approche reposant sur le seul diagnostic, compte tenu des difficultés à identifier les caractéristiques d’une personne autiste. « Nous sommes actuellement très attachés à faire une distinction entre "oui" et "non" en termes de diagnostic, indique-t-il dans un article du Guardian. Mais pourquoi ne pas dire : "Quelqu'un a ces traits. Comment cela peut-il affecter sa vie et que pouvons-nous faire pour l'aider ?" ».
Pour apporter un accompagnement dès qu’est évoquée la possibilité d’un trouble, le Dr Jonathan Green travaille depuis vingt ans à une méthode alternative. Développée par son équipe de Manchester et en partie financée par Autistica, elle peut démarrer très tôt, autour d’un an pour les bébés, au cours de la phase qui précède le diagnostic ou juste après. Cet accompagnement du développement psychologique et émotionnel de l’enfant, appelée iBasis pour les bébés et Pact pour les enfants plus âgés, se réalise à travers de vidéos feed-back. « L’enfant est filmé en train d’interagir avec ses parents, puis le thérapeute visionne avec eux cette vidéo, poursuit le spécialiste. Ensemble, ils explorent la façon dont l’enfant communique et les parents apprennent ainsi comment interagir avec lui. Nous avons prouvé de façon clinique que la méthode améliore les conditions de vie des patients même six ans après la fin de la thérapie. »
Pour les patients suivis, la méthode permettrait aussi de réduire de moitié les listes d’attente. « À ce jour, la réponse au Royaume-Uni est très fragmentée, rappelle le Dr Green. Beaucoup de familles sont inscrites sur différentes listes d’attente pour des interventions dont l’efficacité n’a pas été prouvée. Notre méthode permet de prendre en charge les familles dès que les craintes sont exprimées ; les interventions sont plus concentrées. Comme les résultats sont meilleurs, le besoin de soutien est moins important par la suite, ce qui permet d’améliorer la réponse du service dans son ensemble. »
L’équipe de Manchester introduit maintenant cette méthode dans la pratique courante au niveau local mais aussi dans d’autres régions du Royaume-Uni. « Le système de santé est décentralisé et le NHS n’impose rien, mais la méthode fait partie des directives qu’il propose, indique le professeur. Cela ne demande pas forcément plus de personnel ou plus de moyens, mais cela exige un changement d’approche par rapport à ce qui existe. » La méthode est aussi testée à l’étranger et notamment au centre hospitalier Le Vinatier de Lyon.
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