« Il n’y a pas de solution, le problème se pose à l’origine », tranche le Dr Ernesto Melluso, un gynécologue sicilien retraité qui effectue toujours des consultations au centre hospitalier Villa Sofia de Palerme. Pour lui, la loi votée par le Parlement sicilien en mai ne sera pas appliquée. Ce texte oblige les hôpitaux publics à recruter des spécialistes pratiquant l’avortement. En effet, selon les derniers chiffres publiés par le ministère de la Santé italien, sur les 55 hôpitaux siciliens disposant d’un service de gynécologie, l’IVG est pratiquée dans moins de la moitié d’entre eux (47,3 %), alors que la moyenne italienne est de 61,1 %. Et, en Sicile, le taux de praticiens objecteurs de conscience a atteint la barre des 81,5 % contre une moyenne nationale de 63, 4 % l’an dernier.
« Une loi identique a été adoptée dans d’autres régions comme le Latium mais elle n’a pas fonctionné. Les médecins qui avaient été embauchés se sont déclaré objecteurs de conscience au bout d’un certain laps de temps », explique le gynécologue. Pourtant, ajoute-t-il, un article de la loi sicilienne établit que se déclarer objecteur de conscience entraîne la perte de son emploi. Mais « cet article présente un risque d’inconstitutionnalité dans la mesure où il viole le principe de la liberté de pensée individuelle, un droit fondamental qui par nature, peut évoluer dans le temps », note Ernesto Melluso.
Des mécanismes de pénalité et de compensation
Et le praticien s’appuie sur son expérience, lui qui, inscrit au parti communiste, a milité dès le départ pour la pleine application de la loi adoptée en 1978. « C’était une période compliquée, j’étais le seul médecin qui pratiquait des interruptions de grossesse à Palerme, une soixantaine environ par semaine », raconte le Dr Melluso. Excommunié par l’Église, le médecin se souvient aujourd’hui des processions organisées dans l’hôpital, fondé par des prêtes, alors qu’il était de service. La question des objecteurs de conscience avait été soulevée dès l’approbation de la loi sur l’avortement, se remémore-t-il. Le praticien avait proposé d’introduire des mécanismes de pénalité pour les objecteurs de conscience et de compensation pour les médecins qui ne s’opposaient pas à l’IVG. Une proposition rejetée en bloc par le parti au pouvoir.
« J’ai toujours défendu le droit à l’autodétermination même pour l’euthanasie et la GPA et je n’ai jamais été contre l’institution de l’objection de conscience en tant que telle. Mais il faut analyser le problème et distinguer les différentes typologies d’objection », affirme le praticien. En Sicile particulièrement, plusieurs facteurs alimentent le recours à la clause de conscience : une forte composante catholique et une tradition culturelle qui accorde une grande importance à la vie dès sa conception, mais aussi, un manque de formation spécifique et des difficultés d’accès aux structures. Ainsi, une partie des médecins évoquent des raisons religieuses pour motiver leur choix, tandis que d’autres, une minorité, privilégient le secteur privé pour pratiquer les IVG, observe le Dr Melluso. Autre motivation pour les objecteurs : l’IVG représente une charge de travail supplémentaire pas forcément gratifiante sur le plan professionnel et source comme toute intervention chirurgicale, de potentielles actions en justice. Enfin, certains praticiens font valoir leur clause pour éviter, disent-ils, d’être cantonnés à des taches spécifiques liées à l’IVG et des blocages dans leur avancement de carrière.
Une solution serait de créer des structures spécifiques avec des soignants pratiquant les IVG et les objecteurs de conscience qui seraient obligés de garantir le suivi
Dr Marianna Tornabene
À la recherche de solutions
Alors pour contourner le problème, la région devra-t-elle recruter sur le continent ou des médecins cubains comme la Calabre en 2023 ou se tournera-t-elle vers les coopératives spécialisées dans l’intérim médical ? À voir. Autre contexte mais même questionnement du côté de la Dr Marianna Tornabene, une chirurgienne gynécologue hospitalière à Palerme. La structure publique qui l'emploie n'a visiblement pas de problème et représente une véritable exception dans le panorama palermitain. Dans son service, seulement quatre gynécologues sur 22 ont fait valoir leur clause de conscience, confie cette praticienne, alors que dans la plupart des autres établissements, la quasi-totalité des spécialistes se déclarent objecteurs. « En 2018, durant la phase de recrutement, les médecins ont dû déclarer qu’ils n’invoqueraient pas la clause de conscience et récemment, la direction hospitalière nous a réclamé une liste réelle du nombre d’objecteurs de conscience pour rédiger un état des lieux concret du service ». Alors si la plupart des établissements regorgent d’objecteurs de conscience et compte tenu de l’absence de spécialistes disponibles sur le marché du travail sicilien, comment la Sicile va-t-elle pouvoir faire appliquer son nouveau dispositif ? « Bonne question ! Une solution serait de créer des structures spécifiques avec quatre ou cinq soignants qui pratiquent les IVG et les objecteurs de conscience qui seraient obligés de garantir le suivi comme la pré-hospitalisation par exemple et les thérapies ce qui ne veut pas dire participer à l’avortement. On ne peut pas obliger un médecin à pratiquer une intervention, en revanche, on peut l’obliger à poursuivre la procédure lorsqu’elle est déclenchée. C’est là qu’il va falloir agir, c’est une obligation professionnelle, un acte médical qui va au-delà des convictions personnelles », conclut la Dr Marianna Tornabene.
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