Depuis le 9 octobre, le siège complet imposé par Israël à la bande de Gaza prive la population de livraisons d'eau, de nourriture et d'électricité. À l'hôpital Al-Shifa, des médecins ont à plusieurs reprises lancé un cri d'alarme sur le manque de carburant pour faire fonctionner les générateurs.
Une semaine après le début de son opération terrestre dans le territoire palestinien, Le Quotidien fait le point sur la situation humanitaire avec le Dr Jean-François Corty. Le vice-président de Médecins du monde (MDM) revient sur les conditions de travail des soignants et alerte sur l'explosion de la mortalité. Il exige un cessez-le-feu.
LE QUOTIDIEN : Selon l’ONU et les ONG présentes à Gaza, la situation humanitaire est catastrophique.
Dr JEAN-FRANÇOIS CORTY : Le blocus complet de Gaza est arrivé tellement rapidement que les organisations humanitaires ont été prises de court. Elles n’ont pas eu le temps de faire des stocks suffisants. La population est privée d'eau, de nourriture et d'électricité. Mais aussi de fuel, car Israël refuse l'entrée de fuel. Or la plupart des dispositifs de santé sont alimentés par des groupes électrogènes qui en ont besoin pour fonctionner.
Vingt mille blessés [selon les derniers chiffres de Médecins sans frontières] se trouvent toujours dans la bande de Gaza. On parle beaucoup des morts liés aux bombardements mais peu des morts à bas bruit, ceux qui décèdent par défaut de soins, par manque de médicaments. Le décompte ne prend pas non plus en considération les corps cachés sous les décombres. Il y a aussi de plus en plus d’enfants et d’adultes qui boivent de l’eau saumâtre, de l’eau de mer mal filtrée. On est sur une phase exponentielle de mortalité qui va s’accentuer. Or, cette mortalité affecte davantage les plus fragiles, les malades, les femmes enceintes et les enfants en bas âge…
Trois cent soixante-dix camions d'aide humanitaire sont arrivés à Gaza depuis le 21 octobre, selon l'ONU. Or, il en faudrait 100 à 150 par jour pour répondre aux besoins de deux millions de personnes qui habitent dans la bande de Gaza. À titre de comparaison, avant la guerre, 400 à 600 camions rentraient chaque jour sur le territoire. C'est la raison pour laquelle Médecins du monde exige un cessez-le-feu : pour que l’aide humanitaire puisse rentrer.
Comment travaillent les équipes de Médecins du monde sur place ?
Nos équipes, qui sont formées à l’urgence, sont uniquement des Gazaouis. Nous avons aussi des équipes de Palestiniens et d’expatriés en Cisjordanie, où la situation est aussi en train de se dégrader. Ces équipes, comme tous les Gazaouis, peinent à trouver de la nourriture et de l’eau. La plupart d’entre eux ont perdu des membres de leur famille. Ceux qui travaillent encore à l’hôpital sont soumis à un stress permanent, une charge de travail démentielle. Ils sont aussi démunis, dans la mesure où l’aide humanitaire rentre au compte-gouttes, sans répondre à l'intégralité des besoins.
Leurs conditions de travail sont extrêmement difficiles. Ils font de la médecine de guerre en mode dégradé. On prend en charge les cas les plus urgents et on trie les malades. Mais, aujourd'hui, même le tri ne suffit plus.
Quelle est la situation dans les hôpitaux ?
Il y a une trentaine d’hôpitaux sur la bande de Gaza. Plus de la moitié d’entre eux ne sont plus opérationnels, en raison du manque de fuel, d’électricité, de médicaments. Les groupes électrogènes ne marchent plus. Les respirateurs et les couveuses pour les nouveau-nés ne marchent plus. On ne peut pas non plus faire de dialyses. Les signalétiques ne fonctionnent pas non plus, si bien que les professionnels utilisent la lumière de leur téléphone portable pour opérer. Ces hôpitaux deviennent en quelque sorte des mouroirs, où on fait du palliatif sans antalgiques. Enfin, une dizaine de centres de santé ont été détruits par les bombardements. Le système de santé s’effondre complètement, il n’a plus la capacité de répondre à des besoins devenus démentiels. Dans le Nord, il y a tellement de blessés et de malades qu’ils ne savent plus où les mettre. Ils font des opérations à même le sol, sans anesthésiants, sans antalgiques.
De nombreuses personnes sont-elles en attente d’évacuation ?
On a demandé à la plupart des hôpitaux d’évacuer les blessés et les malades vers le sud. Sauf que la plupart d’entre eux sont dans des états cliniques instables. Cette demande n’est donc pas réaliste car cela engendrerait un coût humain important. En France, durant la crise sanitaire, on a organisé des ponts aériens. Mais c’est impossible de le faire à Gaza, car il n’y a pas de trains, pas d’avions, pratiquement plus d’ambulances, plus de fuel. Sans oublier les bombardements intensifs qui empêchent les évacuations.
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