Les audioprothésistes vont-ils bientôt avoir leur Ordre professionnel ? C’est en tout cas ce que souhaite un groupe de députés de tous bords : socle commun (Droite républicaine, MoDem, EPR, Horizons), centriste (Liot) et de gauche (GDR, PS). Le député à l’origine de la proposition de loi en ce sens, François Gernigon (Horizons, Maine-et-Loire), entend réguler le secteur de l’audition, en pleine expansion depuis la réforme du 100 % santé, notamment avec la création d’un code de déontologie.
Personnellement touché par une perte d’audition majeure et soudaine, à 38 ans – un neurinome de l’acoustique – l’élu a connu une prise en charge difficile. Aujourd’hui appareillé et ayant perdu la quasi-totalité de sa capacité auditive, y compris, précise-t-il, à cause « du brouhaha de l’Assemblée », sa proposition de loi est le fruit de sa propre réflexion et des rencontres avec les acteurs du secteur. « Il est important que la profession soit encadrée et s’autorégule, ce texte est incontournable », défend-il auprès du Quotidien.
L’exploitation de la solidarité du système
Dans l’exposé des motifs de sa PPL, François Gernigon explique que si « la très grande majorité » des audioprothésistes exercent correctement et dans les règles de l’art, « une minorité, parfois mal formée, plus axée sur des objectifs quantitatifs que qualitatifs, ou cherchant à exploiter la solidarité de notre système de soins, nuit à la réputation et à la qualité de cette profession ».
La réforme du 100 % santé a fortement augmenté le nombre de patients équipés d’aides auditives, en supprimant le reste à charge des prothèses de classe 1. De fait, le nombre de prothèses auditives vendues par audioprothésiste est passé de 230 par an en 2018 à 348 en 2023. Mais, pointe le député dans son texte, « certaines pratiques, qui ont un mode de fonctionnement moins personnalisé et des objectifs productifs, permettent d’atteindre entre 500 et 650 patients par audioprothésiste et par an ». Ce qui, selon lui, pose la question du suivi de qualité pour les patients équipés… et aussi de la fraude, qui n’épargne pas le secteur.
Concernant l’audioprothèse, des fraudes d’un montant de 21,3 millions d’euros ont été identifiées et bloquées en 2023, soit 4,6 % du total comptabilisé par l’Assurance-maladie. Ce sont « souvent des individus ou sociétés extérieures à la profession d’audioprothésiste qui tentent de profiter de la solidarité du système », insiste le député, notamment « par l’usurpation d’identité, la réalisation de faux actes et la facturation de matériel différent de celui effectivement délivré ».
Si la Cnam a effectué un contrôle accru du secteur, avec le dépôt de 300 plaintes pénales contre 160 centres en France, d’autres pratiques, comme l’exercice illégal de la profession ou la négligence, pourraient être mieux gérées par une institution ordinale, comme c’est le cas pour les médecins ou les pharmaciens, par exemple.
La formation privée en question
En outre, de nombreuses personnes se forment dans des écoles privées étrangères, principalement en Espagne, « environ 500 étudiants français par an », précise le député. Ces officines proposent des formations de courte durée (parfois moins d’un an), à distance, et dont le contenu ne respecterait pas toujours la maquette de formation du diplôme d’État d’audioprothésiste français. « Ce parcours de formation peut entraîner une prise en charge non qualifiée causant une perte de chance pour les patients et des coûts supplémentaires pour la Sécurité sociale », écrit le député dans son exposé des motifs.« Je défends que, lorsqu’on pousse la porte d’un professionnel de l’audition, on doit avoir l’assurance qu’il ait suivi une formation initiale et continue dans sa carrière, notamment avec la recherche clinique qui a beaucoup avancé », explique-t-il au Quotidien.
La profession reste relativement récente puisqu’elle a été établie par la loi en 1967. Mais les effectifs d’audioprothésistes ont quasiment doublé en dix ans (passant de 2 441 en 2013 à 4 478 en 2023). Une croissance qui répond notamment à l’enjeu de la prise en charge des troubles auditifs liés au vieillissement de la population : environ deux tiers des plus de 65 ans sont touchés par la surdité.
Marchandisation du soin auditif
L’initiative parlementaire peut compter sur le soutien des présidents des autres Ordres de santé. Réunies au sein du comité de liaison des institutions ordinales (Clio), ces autorités jugeaient cette mesure « essentielle » dans un courrier de 2024, et ce d’autant plus « dans un contexte de financiarisation de la profession et de marchandisation du soin auditif ».
Pour l’heure, le texte, rédigé en collaboration avec le Collège national d’audioprothèse (CNA) et le Syndicat des audioprothésistes (SDA) n’est pas encore inscrit à l’ordre du jour de la commission des Affaires sociales mais il devrait l’être « rapidement, au plus tard avant les congés d’été », précise le rapporteur du texte, déterminé à avancer.
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