LE QUOTIDIEN : Vous avez plusieurs fois tiré la sonnette d’alarme sur la perte d’attractivité de la médecine générale. Le G à 30 euros, avancé lors des négociations conventionnelles, est-il une bonne nouvelle ?
Dr FRANÇOIS ARNAULT : Cette perte d’attractivité est largement expliquée par le déficit de rémunération des médecins… et pas que dans cette spécialité, car c’est aussi le cas dans la radiologie et la biologie. On pense que ce sont des spécialités à l'abri du besoin, mais la financiarisation est la réponse à l’incapacité des médecins radiologues à assumer leurs investissements. Chez les généralistes, ce problème est criant. Un nombre important et inquiétant d’entre eux, une fois fini leurs études, ne font pas de médecine générale mais de la médecine esthétique. Dans certaines villes, on parle d’une majorité des diplômés. C’est un non-sens ! Pourquoi ce choix ? Une injection, c’est 300 euros… Avec une consultation à 26,50 euros, il faut en faire beaucoup pour arriver à ce chiffre !
Les négociations pourraient échouer et, le cas échéant, laisser ces questions aux mains du législateur…
S’il y a un échec, ce sera dramatique. Le ressenti déceptif sera énorme et il y aura une fuite des médecins du monde libéral. Chaque fois que je vois un ministre, je lui dis : « Vous avez une responsabilité dans l’attractivité de certaines spécialités et il faut que vous arriviez à faire respecter une juste rémunération des médecins ». Cela va devenir compliqué pour le gouvernement : si le monde libéral n’a plus sa place, ce ne seront pas que les médecins qui vont être embêtés, mais bien toute la population.
Quid des délégations de tâches ou du partage de compétences pour faire gagner du temps médical aux médecins ?
Depuis que je suis élu, j’entends dire : « Il n’y a pas assez de médecins, il n’y a qu’à demander aux paramédicaux de faire leur travail ». Mais ce n’est pas possible, ni raisonnable, et encore moins scientifique ! En revanche, toutes les professions de santé doivent évoluer dans leurs compétences, mais cela doit passer par une formation à l’université. Après intervient l’organisation territoriale de l’équipe. J’ai signé avec l’ensemble des professions de santé un accord en 2022 qui précise que le médecin est le coordonnateur de l’équipe et organise le partage de l’activité avec les autres professionnels de santé. Le bon exemple, ce sont les infirmiers en pratique avancée (IPA). Le médecin peut leur confier des patients et organiser un accès direct, avec un dossier médical en accès commun.
« La dette à la société, les jeunes médecins l’ont payée en faisant tourner les hôpitaux »
Dr François Arnault
Où en est-on de la pyramide des âges en 2024 ?
Nous ne sommes pas inquiets au sujet de l’attrait pour la profession, de loin la plus demandée sur Parcoursup. Aussi, la suppression du numerus clausus, avec 10 000 médecins formés par an, est une mesure considérable. Au bout de ces tranches d’âges se trouve ma génération, qui continue de travailler au-delà de l’âge de la retraite pour la plupart, car ils ne trouvent pas de successeurs. Ces médecins vont s’arrêter dans les années qui viennent, tandis que d’autres générations arrivent en nombre important, mais n’exercent pas tous le métier. Et entre les deux, des praticiens privilégient l’emploi salarié. Nous sommes au milieu du gué.
Vous semblez tout de même inquiet…
Je suis très inquiet pour la démographie médicale. Je comprends les contraintes financières de la nation, dont on ne peut faire abstraction. Mais est-ce raisonnable de rémunérer un médecin généraliste 26,50 euros ? Ils n’ont pas de quoi payer un secrétariat, c’est dramatique ! Les seuls qui trouvent des solutions sont dans des structures organisées, comme les maisons de santé pluriprofessionnelles. Je suis aussi très inquiet du fait qu’il n’y ait pas de prise de conscience du monde politique et administratif de ce qu’apportent les médecins à la population. On essaye de faire croire qu’on peut se passer du médecin… Mais c’est une faute politique : le médecin est incontournable ! Celui qui avait remis les choses en place, Aurélien Rousseau, n’est pas resté assez longtemps à Ségur. C’est dommage.
Faut-il réguler les remplaçants pour qu’ils s’installent ?
Il est extrêmement difficile de toucher aux remplaçants, car les médecins ont besoin d’eux. Si vous fixez une limite au remplacement, disons de deux ans, comment les praticiens installés souffleraient-ils, alors qu’ils ne trouvent déjà ni associés ni successeurs ? La réforme du troisième cycle a modifié les conditions d’accès aux licences de remplacement. Nous travaillons avec la conférence des doyens et allons demander à revoir les textes, car la durée de formation des études et des phases a évolué dans toutes les spécialités. Il faut redéfinir qui a le droit de remplacer.
Quelle est votre position sur les rendez-vous non honorés : peut-on déontologiquement sanctionner financièrement le patient ?
C’est impossible. Déjà, car environ 30 % des patients ne payent pas de consultation. Aussi, un patient peut avoir un empêchement une ou deux fois de suite. Le problème arrive quand il prend plusieurs rendez-vous en même temps. C’est cela qu’il faudrait détecter, car ce sont les seules circonstances où il y a vraiment une déviance. Il faudrait que les organismes de prises de rendez-vous mettent les moyens numériques. Ils sont prêts à le faire, alors travaillons ensemble !
La liberté d’installation des médecins est-elle menacée ?
Bien sûr ! J’ai vu que Guillaume Garot (député socialiste portant une proposition de loi transpartisane visant à introduire un conventionnement collectif, NDLR) a remis le couvert. Il est dans une obstination, alors même que le Président a dit qu’il n’irait pas dans ce sens. La coercition consiste à dire à un jeune médecin de 30 ans : « vous allez travailler pendant quelques années à tel endroit ». Or, souvent, à cet âge, on a construit sa vie avec une personne, peut-être des enfants… La dette à la société, ils l’ont payée en faisant tourner les hôpitaux, sans compter leurs heures. Ils n’iront pas s’installer en libéral avec une obligation. Ils iront, par exemple, faire de la médecine esthétique ou salariée…
Quel est votre sentiment sur la disposition de la loi Valletoux qui permet des gardes obligatoires en cas de carence sur un territoire ?
Déontologiquement, la garde est obligatoire. Mais regardons les chiffres : notre enquête réalisée en 2023 montre que 97 % du territoire est couvert. Il y a plus de médecins libéraux qui prennent des gardes en 2023 par rapport à 2022, ce qui nous porte à peu près à 42 %. Il faut arrêter de stigmatiser les libéraux à ce sujet. Il reste 3 % du territoire non couvert, trouvons des solutions ! En 2005, lorsque j’étais président d’un conseil départemental de l’Ordre, nous avons augmenté la taille des secteurs en diminuant leur nombre de 24 à 8, divisant par trois le nombre de gardes par médecin et en éliminant la nuit profonde, dont la régulation peut se charger. Elles existent…
« Aucun médecin n’a été sanctionné pour avoir signalé des cas de maltraitance. L’Ordre est du côté des victimes »
Dr François Arnault
L’Ordre est critiqué pour les condamnations de médecins par les chambres disciplinaires. L’un était contre l’homéopathie, l’autre les antivax. Comment le vivez-vous ?
J’ai conscience que l’Ordre national est sur le même bateau que la chambre disciplinaire d’appel, dans l’image qui va vers le public et les médias, mais elle est indépendante. Il y a 10 magistrats, qui ont rendu 425 décisions en 2023. L’Ordre a déjà pris position dans le passé contre l’homéopathie. Ce qui est reproché au médecin, dans la décision, est son mode d’expression. L’autre, plus célèbre (le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S, ndlr), avait raison sur le fond aussi, mais cela ne lui permet pas de dire n’importe quoi dans la forme. Doit-on les condamner ou pas ? D'abord, il n'y a pas de scandale. C'est une décision d'une chambre, d'une juridiction indépendante. Sur le fond, il a raison, mais il ne doit pas s'exprimer ainsi.
Certains médecins ayant signalé des cas de maltraitance ont été poursuivis par la justice ordinale. La Ciivise a réclamé la suspension de ces poursuites disciplinaires pour protéger les médecins qui signalent. Vous aviez ouvert ce dossier. Où en êtes-vous ?
Il est aberrant que l’Ordre soit caricaturé comme sanctionnant des médecins qui signalent. Il s’agit d’un amalgame ! Aucun médecin n’a été sanctionné pour avoir signalé. L’Ordre est du côté des victimes. Toute notre action de lutte contre les violences faites aux enfants et aux femmes, consiste à trouver des solutions pour les protéger. Les médecins doivent signaler.
En revanche, nous devons clarifier la protection des médecins signalant. La recevabilité d’une plainte émise à l’encontre d’un médecin du public (pour diffamation, par exemple) est appréciée par le conseil départemental de l’Ordre des médecins. Si le praticien est de bonne foi, la plainte ne sera pas transmise à la chambre disciplinaire. Ce n’est pas le cas pour les libéraux : le conseil départemental est obligé de transmettre la plainte. Un médecin qui signalerait de bonne foi ne sera pas condamné, mais la perspective de poursuites disciplinaires peut être un frein au signalement. Nous souhaitions clarifier cela à travers la loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé, mais cela a été considéré comme un cavalier législatif. Nous continuons nos efforts.
Vous avez soutenu l’article 4 du projet de loi visant à lutter contre les dérives sectaires, qui crée un délit d’incitation à l’abandon de soins. Pourquoi ?
Suggérer aux patients d’arrêter les soins est un moteur des dérives sectaires. Notre rapport de 2023 sur les pratiques de soins non conventionnelles et leurs dérives nous place dans une opposition ferme aux dérives sectaires et aux fakes meds. Nous voulons rendre plus lisible notre combat contre ces dernières et changer notre mode de communication : nous nous rapprochons des réseaux sociaux pour y exister, et affirmer nos principes déontologiques, en faveur de la protection des malades.
Fin de vie : entre attentes sociétales et déontologie
S’il n’a pas souhaité exprimer une position officielle avant la présentation du projet de loi en conseil des ministres le 10 avril, le Dr François Arnault a rappelé les principes qui guident l’institution sur la fin de vie. D’abord, l’euthanasie est incompatible avec la déontologie des médecins, « mais ils ne doivent pas être frontalement opposés à ce qui peut se construire avec la société ». Et d’estimer que la responsabilité de l’Ordre est de « trouver un mode d’action du corps médical qui se rapproche des attentes de la population tout en restant dans la déontologie ». Le président du Cnom insiste sur le respect de la volonté du patient, qui doit être réitérée, ainsi que sur la collégialité de l’évaluation de sa situation. Favorable à une clause de conscience spécifique, le Dr Arnault émet une réserve quant à la constitution d’une liste de médecins volontaires : « le risque serait d’organiser des services d’aide à mourir avec des spécialistes. »
54 % des médecins femmes ont été victimes de violences sexistes et sexuelles, selon une enquête de l’Ordre
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