LE QUOTIDIEN : Saviez-vous, lorsque vous avez dit « oui » à Emmanuel Macron pour prendre la tête de Ségur, que le rythme à ce ministère était aussi difficile ?
FRANÇOIS BRAUN : Je me doutais que ce serait un travail intense ! Le rythme est soutenu mais j’y étais habitué en tant que chef de service aux urgences. Cela dit, mes journées, extrêmement bien organisées par mon équipe, étaient bien remplies : je démarrais à huit heures et je terminais rarement avant minuit. Le plus impressionnant pour moi, c’est l’importance des décisions qu’on prend. Quand vous êtes dans un service d’urgences, vos décisions concernent une ou deux personnes. Au ministère, elles concernent plusieurs milliers ou centaines de milliers de gens à chaque fois.
Quelles fiertés gardez-vous en tête ?
J’en ai beaucoup ! Le plus beau souvenir que j’ai, qui peut paraître anecdotique, est quand j’ai autorisé l’administration du Kaftrio (contre la mucoviscidose, NDLR) aux enfants à partir de six ans. J’avais reçu une lettre d’une petite fille au moment des fêtes de fin d’année, qui me demandait de mettre à disposition ce médicament pour qu’elle puisse vivre d’autres Noëls. Je suis allé à l’association Grégory-Lemarchal, j’ai parlé avec ces personnes atteintes de mucoviscidose et j’ai constaté les résultats fabuleux de ce traitement. C’est un beau souvenir car c’est mon corps de métier : sauver des vies.
Des rencontres m’ont marqué. Dans le cadre de la promotion du sport-santé, une jeune infirmière de Montpellier, qui a une polyarthrite et la maladie des os de verre, revenait du mont Everest [Fabienne Sicot-Personnic, NDLR]. Elle est la septième Française à l’avoir gravi, malgré sa maladie. C’est le courage de ces personnes pour dépasser la maladie qui m’a donné le sens de pourquoi j’étais là.
Avez-vous des regrets ?
Oui. Forcément ! Que les choses ne soient pas allées plus vite, ou de ne pas avoir pu traiter la convention médicale… J'ai écrit la première lettre de mission à Thomas Fatôme [DG de la Cnam], je ne lui ai pas fait la deuxième, ce qui m’embête un peu car nous avions déjà discuté avec les syndicats médicaux. Je regrette de ne pas avoir réussi suffisamment à inverser ce mal-être des professions médicales, en ville comme à l’hôpital. La clef n'est pas que financière ! Quand vous discutez avec le personnel, en premier lieu, ce qu’ils demandent, ce sont de meilleures conditions de travail.
De toute façon, quand vous acceptez ce job, la première chose à se dire, c’est qu’il peut se terminer du jour au lendemain. Il faut tous les jours faire le boulot… et puis un jour ça s’arrête et c’est quelqu’un d’autre qui prend la main.
Ça vous laisse vraiment de marbre ?
Oui, en ce qui me concerne… parce que j’ai un métier et que je ferai autre chose par la suite ; mais ça m’a fait de la peine pour mon équipe qui travaille nuit et jour et qui, du jour au lendemain, se retrouve sans rien. Pour eux, c’était une injustice. Mais je n’ai pas cherché à discuter. La patronne, c’est la Première ministre. Si elle dit que c’est fini, c’est fini, dont acte. Quand j’ai vu qu’elle m’appelait, j’ai tout de suite su : elle n’appelait que ceux qui n’allaient pas rester…
J’ai quand même trouvé que prétendre que je n’étais pas assez présent dans les médias et pas assez cogneur à l’Assemblée… [il n’a pas fini sa phrase, NDLR]. Des médias, j’en ai fait beaucoup : le matin même, j’étais sur BFM TV ! Quant au Palais-Bourbon, j’avais de très bonnes relations avec tous les députés de l’arc républicain – des communistes aux socialistes et aux LR. C’est mon caractère de convaincre plutôt que de cogner. Apparemment, ça ne satisfaisait pas.
Avez-vous eu l’impression que des gens voulaient votre départ, ou enviaient votre place ?
Plein, forcément ! Les postes de ministre sont toujours enviés ! Mais dès le début, cette histoire d’« invisibles », de société civile… c’est de bas niveau. Je l’ai dit dans mon discours de départ, je ne m’intéresse pas aux petites phrases. Ce type de comportement nuit à la politique de façon générale, à la perception qu’ont les Français des politiques.
J’ai fait beaucoup de sports d’équipe, dont du rugby, j’ai créé une équipe d’urgence et, pour moi, le gouvernement était une équipe, avec un entraîneur, une capitaine et tout le monde qui joue dans le même sens. La seule chose que je peux dire à la fin, c’est que ce n’est pas une équipe, plutôt une troupe de théâtre, qui joue certes ce qui a été écrit par un metteur en scène, mais avec des individualités qui veulent en permanence se mettre en avant. Et c’est dommage. Je pense que s’il y avait vraiment cette notion d’équipe, on serait passé à travers beaucoup de difficultés.
Avez-vous eu la sensation de subir le poids de Bercy ou avez-vous eu une vraie marge de manœuvre ?
Ni l’un, ni l’autre. Il faut être clair : on a des discussions entre ministres, sous l’égide de la Première ministre. Et on négocie : chacun met en avant ses arguments. Je n’ai jamais considéré que j’étais plus faible que Bercy dans les discussions. Je n’ai fait qu’un budget, j’avais commencé à faire le deuxième… Certaines choses se feront, d’autres pas. Mais c’est normal ! Il faut un arbitrage, sur l’ensemble des projets ; il n’y a pas que la Santé. Bercy dit : « Voilà l’enveloppe : comment se la répartit-on ? » Je ne l’ai pas vécu comme un combat, mais comme la nécessité de convaincre que mes objectifs étaient justes.
Ne fallait-il pas entériner la consultation à 30 euros ?
Revenons sur cette consultation de médecine générale. Il y a un message que je n’ai jamais réussi à faire passer, y compris dans la presse : le C n’est pas à 25 euros ! Il est plutôt à 35 euros, quand on tient compte des forfaits, de la Rosp. C’est très important et personne ne le dit ! Ensuite, il s’est passé ce qu’il s’est passé dans la négociation – je n’étais pas au cœur de celle-ci. Mais au fond, ça ne posait un problème pour personne que le C soit à 30 euros, c’était quelque part cadré, même d’un point de vue budgétaire ! Mais ce que je voulais – et je l’assume – c’est que ce soit gagnant-gagnant, avec quelque chose de visible pour les patients : une réponse plus adaptée aux besoins de la population. La question n’était pas de dire « on est limité financièrement », mais plutôt « oui, des revalorisations, mais ». Il faut agir sur les besoins de santé.
Aujourd’hui, pensez-vous que le contrat d’engagement territorial (CET) était une erreur, ou assumez-vous les contreparties exigées ?
J’assume totalement car plus des deux tiers des médecins remplissaient déjà tous les critères ! Puisque la majorité des libéraux le font déjà, peut-être que ça n’a pas bien été présenté… C’est un autre sujet, mais la Sécurité sociale étant sous mon autorité, j’en assume les responsabilités.
Aussi, il y a un changement de paradigme : la société post-Covid n’est pas celle d’avant. On ne négocie plus comme il y a quatre ou cinq ans. Quand on démarre une négociation, classiquement, on dit qu’on négocie un mot plus bas et les autres un mot plus haut… Cette année, ça n’a pas marché parce que les syndicats sont restés sur leur position, y compris MG France. Il y a eu un emballement avec Médecins pour demain qui fait que tout le monde a couru derrière.
Vous êtes-vous senti démuni face à la problématique des déserts médicaux ?
Démuni ? Non. Les Allemands, qui sont toujours vus comme extraordinaires, considèrent un désert médical en dessous de 60 médecins pour 100 000 habitants ! Ce qui signifierait qu’il n’y a que deux déserts médicaux en France : Wallis-et-Futuna et Mayotte ! Tout le reste n’en serait pas… Oui, pour voir un médecin, on peut être amené à faire 10 à 20 km, et non, ce n’est pas aberrant. On ne peut plus avoir un hôpital dans chaque bourg, une maternité dans chaque petite ville, un médecin dans chaque village.
Comment vous définiriez-vous sur l’échiquier politique ? Quelle est la suite pour vous ?
Je pense être un socialiste libéral… ou un républicain social. C’est pour ça que le centre me va bien ! J’ai de l’admiration pour ce qu’a construit François Bayrou, avec un groupe uniforme qui se laisse la possibilité de faire du social. Il faut aussi être dans une logique libérale car le système de santé fonctionne sur deux jambes : publique et libérale.
Je ne continuerai pas en politique locale, en passant par une mairie par exemple, malgré les demandes. Je sais quel est mon champ de compétences, il est dans le domaine de la santé. Je peux encore apporter beaucoup de choses, à la fois à l’échelle européenne… ou internationale, même si on ne m’a rien proposé. Il n’est pas exclu que je retourne dans mon hôpital. Il va falloir que je me décide avant la fin du mois…
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