« Nous avons eu les pires difficultés lors du contrôle sur pièce et sur place que nous avons mené à Bercy pour recueillir des éléments précis sur l'utilisation du crédit d'impôt recherche par les entreprises pharmaceutiques », explique Sonia de la Provôté, rapporteure de la commission des affaires sociales du Sénat qui a rendu son rapport le 6 juillet dernier sur les pénuries et propose 36 recommandations. Les sénateurs ont notamment tiré à boulets rouges sur le gouvernement, sur son manque de pilotage de la politique du médicament et notamment sur les aides (710 millions) apportées à l'industrie pharmaceutique dans le cadre du crédit impôt recherche. Pour y remédier, la commission prône la création d'un secrétariat général du médicament placé sous l'autorité de la Première ministre qui serait chargé de coordonner l'action des ministres et d'arbitrer. Cet organisme pourrait piloter la réponse aux pénuries les plus graves et mobiliser une force publique d'actions avec l'aide de la pharmacie centrale de l'AP-HP, des PUI hospitalières et de Santé publique France.
3 700 déclarations de ruptures
Au-delà ce constat sur le manque de gouvernance, la situation sur le terrain s'est particulièrement aggravée, avec un niveau inédit en 2022 de 3 700 déclarations de ruptures ou de risques de ruptures (versus 700 à l'été 2018). « Elles touchent toutes les classes thérapeutiques sans exception et tous les territoires français comme les autres pays. Il y a là un dysfonctionnement profond et grave de l'approvisionnement de nos systèmes sanitaires européens. Conséquence, en raison du contingentement, l'accès aux soins n'est plus une évidence pour les patients français », s'alarme Sonia de la Provôté, présidente de la commission.
Autre chiffre rappelé par les sénatrices, la part des médicaments produits sur le territoire français ne dépasse pas un tiers de notre consommation. La France était le premier producteur européen, et est tombée aujourd'hui à la cinquième place. La plupart des principes actifs sont produits hors Europe. Pire, de nombreuses étapes du circuit du médicament sont sous-traitées à l'étranger. Les chaînes de valeur du médicament sont donc plus vulnérables que jamais. Avec un secteur productif affaibli et une dépense de santé contrainte, la France n'est plus une puissance pharmaceutique.
C'est même le contraire qui arrive, selon Laurence Cohen, rapporteure de la commission : « La capacité de notre pays à négocier ses prix et sécuriser ses approvisionnements s'étiole face à la montée de la demande des pays asiatiques. La demande sanitaire mondiale a aussi crû. Le CEPS chargé de fixer les prix peut être pris en otage devant la menace d'arrêt de commercialisation de produits, de déremboursement ou de déni d'accès précoce. » La conséquence de ces stratégies commerciales des laboratoires est la hausse des dépenses de santé. Résultat encore plus accablent, l'industrie pharmaceutique envisage d'arrêter dans les mois ou années à venir la commercialisation de près de 700 médicaments incluant des produits d'intérêt thérapeutique majeur.
70 % des médicaments "tendus" sont anciens
Pire, selon le rapport, les laboratoires qui restent implantés en France se tournent de plus en plus vers l'export qui représente la moitié de leur chiffre d'affaires (versus 1 cinquième en 1990). Avec pour conséquence une stratégie de lente éviction des médicaments dits matures : 70 % des médicaments (d'usage quotidien comme certains anticancéreux) touchés par ces tensions sont anciens, dont la rentabilité a diminué au fil des ans. « En dépit de leur obligation d'assurer l'approvisionnement du marché, les labos se désintéressent de ces produits au profit des médicaments innovants dont les prix connaissent une augmentation effrayante », cingle Laurence Cohen.
Parmi les causes structurelles, les rapporteurs prônent de revoir profondément les modalités de régulation des dépenses de médicaments. « Les baisses de prix sur les produits matures comme la fiscalité du secteur, y compris la clause de sauvegarde, ne doivent pas frapper les médicaments indifféremment de leur place dans l'arsenal thérapeutique. Il faut plus et mieux tenir compte de l'apport médical et des risques d'approvisionnement », ajoute Laurence Cohen.
Quant à la partie demande des médicaments, le levier de la commande hospitalière devrait être actionné. « Il est urgent de placer le critère de la sécurité d'approvisionnement au cœur des pratiques d'achat hospitalier. Parce qu'elles engagent des volumes considérables, elles doivent être le bras armé d'une reconquête de la souveraineté sanitaire », commente la sénatrice qui déplore que soit pris en compte le seul critère de l'efficience économique.
Personnes transgenres : le groupe de travail de la HAS de nouveau ciblé
À Marseille, un homme disperse les cendres d’un autre corps que celui de sa mère, après une erreur de l’institut médico-légal
Accueil du jeune enfant : la Cour des comptes recommande d’améliorer les congés maternel et parental
Pas de surrisque pendant la grossesse, mais un taux d’infertilité élevé pour les femmes médecins