Si la possibilité d’exercer « en pratique avancée » a été ouverte à l'ensemble des professions médicales par l’article 119 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, la Cour des comptes pointe dans son rapport que les textes réglementaires la réservent aux seuls infirmiers qui présentent une ancienneté de pratique de trois ans et une formation complémentaire de deux ans de niveau master dans l'une des cinq « mentions » précisées à l’article R.4301-2 du code de la santé publique (1).
Dans un contexte de démographie médicale sous tension et de hausse des pathologies chroniques en lien avec le vieillissement de la population, les Sages de la rue Cambon regrettent également que « les textes qui définissent les prérogatives des IPA ne mentionnent ni les missions, ni les fonctions qu'ils sont appelés à assumer et qui, pourtant, sont présentées comme la justification essentielle de ce nouveau statut ». Un flou qui explique peut-être l’écart entre les ambitions affichées - 3 000 IPA formés ou en formation d'ici à 2022 et, à terme, de 6 000 à 18 000 IPA en exercice – et la réalité de terrain : 581 IPA diplômés et 1 366 en formation en 2021.
« Les freins puissants »
Au chapitre des freins au déploiement de la pratique avancée, la Cour des comptes précise surtout que « les réticences des médecins constituent le plus fondamental d'entre eux (…). Lorsque des IPA sont installés en ville, les médecins refusent trop souvent, par méconnaissance ou par crainte de concurrence, d'orienter vers eux des patients atteints de pathologies chroniques, dont l'état de santé relèverait d'un suivi par ces professionnels paramédicaux ». Le modèle économique est cité comme un autre obstacle majeur puisqu’il « ne permet pas aux IPA libéraux de vivre de leur activité, alors même qu'ils ont consenti un effort de formation important - les études, qui s'inscrivent dans un cadre de formation continue, étant onéreuses ».
Autant de constats partagés par Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers. « En France, l’obligation de rattachement à une patientèle médicale interdit l’exercice des IPA dans un désert médical contrairement à ce qui a été mis en place dans tous les autres pays du monde. C’est choquant alors qu’une IPA possède un master, soit l’équivalent du temps de formation d’une sage-femme, exprime-t-il. Comme le note la Cour des comptes, le lobby médical des médecins libéraux est puissant, et il est surtout incompréhensible car envoyer une IPA dans un désert médical ne fera concurrence à personne ! Par ailleurs, le modèle économique ne permet effectivement pas à l’IPA libéral de vivre correctement. »
Des évolutions en question
En terme de recommandations, si la Cour des comptes salue les expérimentations prévues par la loi Rist (2) permettant un « accès direct » aux IPA exerçant dans des structures d’exercice coordonné ainsi qu’un droit de première prescription, elle propose aussi au gouvernement « de définir des guides ou des référentiels précisant les missions des IPA, ou bien, sur le modèle de certains pays étrangers, de prévoir des formations complémentaires préparant les IPA au droit de prescrire en première intention ».
Une proposition qui est loin de faire l’unanimité chez les professionnels concernés. « Que la Cour des comptes demande un complément de formation pour la prescription en première intention est incompréhensible, poursuit Thierry Amouroux. Les recommandations sont par ailleurs trop peu ambitieuses. La loi Rist ne prévoit qu’une expérimentation alors que la primo-prescription devrait être généralisée. Nos compétences sont malheureusement bridées par une réglementation inadaptée, ce qui est regrettable au regard des besoins de la population », conclut-il.
1. Pathologies chroniques stabilisées ; oncologie et hémato-oncologie ; maladie rénale chronique, dialyse et transplantation rénale, psychiatrie et santé mentale, urgences.
2. Loi n° 2023-379 du 19 mai 2023 portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé.
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