Le Dr Philippe Binder, médecin généraliste et Professeur Universitaire à la faculté de médecine de Poitiers où il dirige le département de médecine générale (DMG), a de quoi être fier.
À 69 ans, il est le premier médecin généraliste français à recevoir le « 5 Star Doctor », un prix décerné chaque année à l'occasion du congrès européen de la médecine générale (Wonca Europe). Quelques mois plus tôt, le Collège de la médecine générale (CMG) avait soumis sa candidature pour le choix européen.
« Je dois reconnaître que cela m'a fait très plaisir », admet modestement le praticien, encore ému de la cérémonie qui s'est déroulée à Londres début juillet.
Repérage des addictions chez les adolescents
Décernée selon cinq critères, cette distinction vient couronner la longue carrière du Pr Philippe Binder, marquée par son implication dans le repérage et la prise en charge des addictions et du risque de suicide chez l'adolescent.
Installé en janvier 1982 en tant que médecin de famille à Lussant (Charente-Maritime), où il exerce toujours, le Pr Philippe Binder est rapidement amené à prendre en charge des personnes dépendantes à la drogue. « En 1983, un centre pour toxicomanes s'est ouvert près de mon cabinet. Très vite le directeur du centre m'a demandé de d'y dispenser des soins et délivrer des certificats d'entrée », raconte-t-il.
Se « trouvant très isolé dans l'accueil ambulatoire des toxicomanes », le praticien se forme « en allant voir des collègues à Bordeaux ainsi qu'à La Rochelle ». Il échange notamment avec le Dr Gille Sorbé, médecin généraliste effectuant des vacations à l'hôpital psychiatrique. « Nous rencontrions les mêmes problématiques », explique-t-il.
Au fil des années, le médecin de famille s'intéresse de plus en plus aux problématiques de l'addiction. « Certains parents venaient vers moi pour chercher de l'aide pour leurs enfants dépendants. Cela m'a poussé à m'intéresser à l'origine de la consommation de drogue », se souvient-il.
Cette envie de faire progresser la prise en charge des personnes dépendantes le pousse, en 1987, à créer, pour les généralistes, une association locale (MG-TOX) puis nationale « GT Généralistes et Toxicomanies », dont il est le président de 1988 à 2006 puis de développer des actions interprofessionnelles avec l’association Relais 17. « Cela nous a permis de rassembler localement des infirmières scolaires, psychologues, éducateurs et assistants sociaux… »
Il ajoute : « En 1999, notre implantation dans les collèges et lycées nous a permis de mener un travail épidémiologique. Avec le concours de Marie Choquet à l'Inserm, nous avons sondé, dans 67 établissements scolaires, 1 800 adolescents sur leur consommation de drogues et d'alcool1».
Prévention du risque de suicide chez les adolescents en soins primaires
Ce travail de recherche met au jour une problématique inattendue : « Nous avons découvert que le taux de tentatives de suicide déclarées par les filles était bien supérieur à la normale et que cette « suicidalité » était rarement repérée par les médecins généralistes alors que les adolescents les consultent régulièrement ».
Dès lors, le médecin généraliste s'investit pour mettre au point une méthode destinée à sensibiliser les médecins généralistes au repérage de la « suicidalité ». Pour cela, il crée un groupe de recherche (groupe ADOC), composé de 14 généralistes et un psychiatre libéral financé par les fonds publics.
L'équipe de chercheurs mène plusieurs enquêtes auprès d'adolescents, tâtonne et créé un premier test TSTS- Cafard2. Elle finit par mettre au point le test BITS, un test simplifié de dépistage de la suicidalité L’équipe en valide l’usage par une étude multicentrique auprès des médecins généralistes suisses, belges, luxembourgeois, et ceux de deux départements français d'Outre-mer (Martinique et Réunion)3.
En 2021, la Haute Autorité de santé (HAS) le valide comme test de référence et « pour être utilisé systématiquement en médecine générale et aux urgences hospitalières ». D'ailleurs, à partir d'octobre 2022, « l'Assurance maladie va lancer une campagne d'information pour sensibiliser les médecins traitants à son utilisation » se félicite le généraliste.
« En général, tout va bien. Mais l’usage du test a montré que sur l'ensemble des adolescents dépistés à l’occasion d’une banale consultation, 13 % présentaient une suicidalité. Un chiffre loin d'être anodin », souligne-t-il.
Former et sensibiliser les médecins généralistes
Parallèlement à ces travaux de recherche, le Pr Philippe Binder réfléchit à une manière de mieux sensibiliser les médecins à la prise en charge et au repérage des adolescents en souffrance. « J'ai bien vu que les confrères ne lisaient pas nos articles en anglais sur le sujet. J'ai donc décidé de créer un film pour les motiver et les soutenir ! »
Sous forme de clip de rap, cette réalisation baptisé « Comme un possible », est utilisé comme un outil média pour communiquer avec les ados. Il donne également des clés aux généralistes pour mieux les comprendre et aborder, avec eux, leurs problématiques en consultation. « Ce clip ouvre des portes sur les tourments des adolescents et leurs conduites à risques », précise le Pr Philippe Binder.
Depuis 2010, il gère également un site pour « aborder la complexité de l'adolescence » et, depuis 2013, un autre pour « appréhender l'usage du cannabis ».
Au quotidien, le praticien défend une approche simplifiée du repérage des addictions et du risque de suicide : « on entend souvent dire que les médecins ne sont pas suffisamment formés en ceci en cela mais ils ne peuvent pas tout faire. Il est vrai qu'ils pourraient être mieux formés aux problématiques de l'addiction et du risque de suicide chez l'ado mais on se rend compte qu'il n'est ni nécessaire d'avoir des connaissances pointues sur le sujet ni de consacrer un temps fou en consultation pour essayer d'aborder ces problématiques avec les ados. Il faut juste 3 conditions : garantir la confidentialité, ne porter aucun jugement et ne pas craindre de poser ces bonnes questions ».
D'où l'importance pour lui, de considérer ces problématiques le plus « tôt » en consultation : « faire évoluer la trajectoire de quelqu'un qui a fait dix tentatives de suicide et qui a 30 ans d'alcoolisation derrière lui va réclamer beaucoup d'énergie au médecin. En revanche, chez les adolescents, un début de trajectoire délétère va se rattraper plus facilement grâce à un accompagnement adapté ».
Actuellement, le médecin continue les recherches et travaille sur les causes de rechute en addictologie. Il souhaiterait également mettre en place un webinaire destiné à former davantage les généralistes.
*Le Dr Philippe Binder a reçu « Le généraliste d'or 1991 » pour son implication dans le développement des réseaux d'addictions.
1.Binder P, Chabaud F, Balima S, Saillard C, Robin S, Taugourdeau R, Choquet M. Perceived health survey of 3,800 French adolescents: methodological aspects. Sante Publique. 2001 Dec;13(4):367-77.
2. Binder P, Chabaud F.To detect teenagers' suicide behaviour (II). Clinical audit among 40 general practitioners. Rev Prat 2007; 57: 1193-1199.
3. Binder P, Heintz AL, Haller DM, Favre AS, Tudrej B, Ingrand P, Vanderkam P. Detection of adolescent suicidality in primary care: an international utility study of the bullying-insomnia-tobacco-stress test. Early Interv Psychiatry. 2020 Feb;14(1):80-86.
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