« Pas question » d'augmenter les impôts des ménages : Élisabeth Borne a tenté de rassurer mercredi lors de la rentrée du gouvernement, « mobilisé » sur les priorités des Français. Mais elle a reconnu que cet engagement de stabilité fiscale ne concernait que… le budget de l'État. En revanche, parmi les pistes de recettes, l'augmentation de certaines franchises médicales fait « partie des réflexions » assumées pour boucler le budget 2024 de la Sécurité sociale, sous forte contrainte financière (avec notamment le financement l'an prochain de mesures de revalorisations à l'hôpital et en médecine libérale).
Arbitrages
À cet effet, l'exécutif étudierait une hausse de ces franchises non remboursées – jusqu'ici de 50 centimes d'euro par boîte de médicaments, 50 centimes par acte paramédical et deux euros par transport sanitaire – voire de la participation forfaitaire d’un euro par consultation médicale (qui s'applique aussi aux examens radiologiques et aux analyses de biologie médicale).
Le ballon d'essai a été lancé dès juin par Bercy et les arbitrages pourraient être finalisés très rapidement. Interrogé lundi dernier sur BFM-TV, le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, a reconnu que ces pistes sont « sur la table », évoquant la nécessité d’un « effort de responsabilisation collective ». Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire avait ciblé de son côté les « dérives des dépenses en médicaments » et jugé que leur « quasi-gratuité peut déresponsabiliser le patient ». Le doublement de la seule franchise sur les médicaments (qui passerait ainsi à un euro par boîte) pourrait procurer plus d'un demi-milliard d'euros. Reste à savoir jusqu'où ira le gouvernement sur ce dossier alors que le plafonnement des franchises médicales est aujourd'hui fixé à 50 euros par an.
« Taxer les gens sur la maladie »
Responsabiliser davantage les patients ? Dans le contexte d'inflation, les syndicats de médecins libéraux ont un avis très majoritairement critique sur cette éventuelle croissance du reste à charge en santé. « C'est profondément inégalitaire et dégueulasse, tonne le Dr Jérôme Marty, président de l'UFML-Syndicat. On a une essence à deux euros, l'électricité qui double ou triple, les frais de bouche qui bondissent de 40 %. Et là, on veut taxer les gens sur la maladie… De nombreux Français qui souffrent préféreront renoncer aux soins. » Sur le fond, le généraliste de Fronton dénonce le « sparadrap » consistant à combler le déficit de la Sécurité sociale en pénalisant les patients.
Un jugement très critique que partage son homologue de la branche généraliste de la CSMF. « Après la traque aux IJ prescrites par les médecins, c'est auprès des usagers que l'on cherche à réaliser des économies ! Cette piste de l'augmentation du reste à charge pour les patients, tant sur les boîtes de médicaments que sur le tarif de la consultation, va pénaliser ceux qui sont déjà dans la précarité », s'emporte le Dr Luc Duquesnel. « Pour ma part, ajoute le généraliste mayennais, j'aurai préféré qu'on parle d'investissement dans notre système de soins qui craque de toutes parts, plutôt que de trouver des rustines pour réaliser des économies à tous crins. Mais aujourd’hui, notre système de santé n'est vu par Bercy et l'Élysée que comme une variable d'ajustement permettant de réduire le déficit budgétaire », poursuit le chef de file des généralistes de la Conf'.
Du côté de MG France, la pilule est amère. « Nous ne pouvons qu'être hostiles à une telle mesure », charge la présidente du syndicat de généralistes. « C'est à l'opposé de tout ce pour quoi nous nous battons ! La demande historique de notre syndicat, pour lutter contre les inégalités sociales de santé et éviter le renoncement aux soins, c'est au contraire la prise en charge à 100 %, sans ticket modérateur de la consultation chez le médecin généraliste traitant », souligne la Dr Agnès Giannotti. Elle pointe le risque de dérive « vers un système inégalitaire à l'américaine où les très pauvres ont un accès aux soins à part et gratuit, tandis que le reste de la population doit s'endetter pour se soigner ».
Bousculer le « sacro-saint reste à charge »
Au SML en revanche, c'est une autre musique qui se fait entendre. « Nous ne sommes pas opposés à cette augmentation des franchises, du moins au montant envisagé », assume la Dr Sophie Bauer, présidente du syndicat. « D'une part, cela responsabiliserait un peu les patients en leur faisant prendre conscience de ce que la collectivité prend déjà en charge en matière de soins. D'autre part, si cet euro supplémentaire était payé d'avance aux médecins, cela pourrait permettre de réduire le nombre de rendez-vous non honorés ».
Et la chirurgienne d'avancer que la France est le pays de l'OCDE où le reste à charge en santé des ménages est le moins élevé. « Un euro de plus pour la consultation et 50 centimes d'euros sur les médicaments, cela équivaut environ au prix d'une baguette de pain. L'augmentation est relativement minime et ne pèserait pas trop sur les ménages, le système de santé français resterait extrêmement solidaire. Au nom du sacro-saint reste à charge auquel il ne faut pas toucher, on est en train de tuer notre système de santé », diagnostique la présidente du SML.
Coup de canif dans le contrat social ou mesure nécessaire de responsabilisation financière ? Quinze ans après leur instauration déjà polémique en 2008, les franchises médicales devraient électriser le prochain débat sur le budget de la Sécu.
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