Plan Bayrou : un pacte, quatre questions

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Publié le 09/05/2025
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La présentation par le Premier ministre fin avril du « pacte » de lutte contre les déserts médicaux a plongé la profession dans un abîme de perplexité. À ce stade, le plan Bayrou soulève autant de questions qu’il n’apporte de réponses. Tour d’horizon.

Depuis deux semaines, le gouvernement s’emploie à faire de la pédagogie

Depuis deux semaines, le gouvernement s’emploie à faire de la pédagogie
Crédit photo : Thomas Hubert/SIPA

Censé couper l’herbe sous le pied des parlementaires – en écartant une régulation contraignante à l’installation –, le « pacte » Bayrou de lutte contre les déserts médicaux comporte toujours de nombreuses zones d’ombre et autres trous dans la raquette. Depuis dix jours, la profession s’interroge sur l’intérêt d’accompagner ce plan tout en évitant les pièges éventuels. Tour d’horizon.

Deux jours de « solidarité obligatoire » dans les déserts : est-ce bien raisonnable ?

Jusqu’à deux jours par mois de solidarité territoriale dans les « zones rouges » (les plus fragiles) : c’est la mesure emblématique du pacte Bayrou, celle qui a fait couler beaucoup d’encre et provoque le plus de réactions inquiètes. « On savait que ce serait l’annonce la plus commentée », confiait une source gouvernementale dès la présentation du plan. Et pour cause… D’un côté, il s’agit d’une opération de déminage habile qui allume un contre-feu à la régulation punitive à l’installation en zone surdotée défendue dans la proposition de loi (PPL) Garot. « Une dernière chance avant des mesures plus contraignantes », décryptait un conseiller.

Mais de l’autre, cette disposition crée beaucoup d’incompréhension. Peut-on raisonnablement exiger davantage de solidarité, fût-elle ponctuelle, de la part d’une profession en situation de pénurie ? À quel prix pour des praticiens déjà saturés ? Comment s’appliquera cette réforme sur le plan logistique ? Surtout, l’obligation de solidarité sera-t-elle opposable individuellement aux médecins à proximité de ces zones ? Depuis deux semaines, le gouvernement s’emploie à faire de la pédagogie, au risque de brouiller le message initial. Le 4 mai, François Bayrou précisait au Journal du Dimanche que tous les médecins « généralistes ou spécialistes » devront prendre part à cet effort collectif « si besoin » Les collectivités de leur côté devront mettre la main à la pâte, le cas échéant, pour trouver des locaux, voire participer aux frais d’un éventuel cabinet secondaire. Nouveauté, les confrères pourront se faire remplacer lors de ces absences forcées, mais par qui ? Attention à ne pas déshabiller Pierre pour habiller Paul, s’inquiètent les syndicats, qui posent aussi la question du suivi des patients par des praticiens différents à chaque consultation.

Le pari de l’exécutif est d’enclencher une dynamique vertueuse, en commençant par les secteurs critiques

Interrogé sur la pénalisation des médecins qui refuseraient cette « solidarité obligatoire », Yannick Neuder s’est montré évasif. « On verra si, effectivement, il y aura des pénalités », a-t-il nuancé trois jours après la présentation du pacte. En réalité, le pari de l’exécutif est d’enclencher une dynamique vertueuse, en commençant par les secteurs critiques, sous forme de consultations avancées et autres vacations. « On veut généraliser des choses qui existent ponctuellement », explique-t-on. Pour la suite, rien n’est encore écrit.

Un nouveau « zonage » fin mai : réaliste ?

C’est le préalable indispensable pour l’application du plan Bayrou : identifier les zones « les plus critiques » pour y concentrer l’action publique, dont la contrainte de solidarité territoriale précitée. Pas question d’attendre un an pour réaliser ce zonage. L’exécutif a donc demandé aux ARS, bras armés de l’État, en lien avec les préfets, les élus et les professionnels concernés, de cartographier « d’ici à fin mai » ces fameuses « zones rouges » au sein desquelles la permanence médicale sera une « absolue priorité ». Mais reste à savoir ce qui sortira de cette mission expresse. L’exécutif a promis d’identifier ces territoires vulnérables finement, « à l’échelle de l’intercommunalité », ce qui suppose un travail rigoureux de maillage. « On ne va pas faire ça depuis Paris », jure l’entourage de Yannick Neuder. Les indicateurs habituels d’accessibilité potentielle localisée (APL) seront-ils utilisés cette fois ? Difficile au demeurant d’imaginer un grand ménage en trois semaines. Pour l’instant, 10,8 % des intercommunalités sont « à très fort indice de vulnérabilité », précise le gouvernement. Elles regroupent 2,2 millions d’habitants et 3,3 % de la population.

Mais ce n’est que la première étape puisque, secondairement, le principe de solidarité territoriale devrait s’appliquer dans l’ensemble des zones sous-denses. Ce qui change la donne puisque « 87 % du territoire est classé en désert médical » dans les 1 254 intercommunalités. De source gouvernementale, on précise que plusieurs indicateurs seront croisés pour cartographier la France. Certains critères sont connus (taux de patients sans médecin traitant – dont patientèle ALD –, densité de généralistes) mais d’autres sont plus subtils comme les départs prévisibles de praticiens à la retraite. « Nous faisons pleinement confiance aux ARS » pour cette mission, explique-t-on de source gouvernementale. La profession sera-t-elle aussi emballée ?

Un statut de « PTMA » pour les jeunes médecins : attractif, vraiment ?

Autre promesse à décoder : le nouveau statut de praticien territorial de médecine ambulatoire (PTMA), censé séduire les jeunes en quête d’installation dans les « zones rouges ». Le principe ? Un engagement d’exercice de « deux ans minimum » dans ces territoires fragiles avec une « garantie de revenu » et une exonération de jours de solidarité territoriale. En revanche, ce statut n’aurait pas vocation à permettre l’accès au secteur 2.

Touffu, le pacte Bayrou réclame plusieurs vecteurs législatifs pour entrer en vigueur

Si l’acronyme a été chipé à la ministre socialiste Marisol Touraine, qui voulait déjà en 2015 déployer des contrats PTMA dans les zones sous-denses (avec avantage maternité/paternité conditionné à des engagements individualisés), la mesure version 2025 émane des internes et des doyens. « Oui, le PTMA est issu de notre proposition. Mais sans un accès au secteur 2, indispensable aux yeux de beaucoup de jeunes spécialistes pour faire tourner un cabinet ou embaucher une secrétaire, ce sera très peu attractif », recadre Killian L’helgouarc’h, président de l’Isni. L’idée initiale des internes visait un statut aligné sur celui des assistants hospitaliers, avec des droits équivalents et, pourquoi pas, une prime d’exercice territorial. À l’Isnar-IMG, qui représente les internes de médecine générale, l’analyse est plus nuancée. « Pour nous, l’absence d’accès au secteur 2 est plutôt un bon point, car cela aurait pu nuire à l’accès aux soins », estime Bastien Bailleul, son président. Selon lui, le PTMA pourrait représenter une opportunité pour les remplaçants ou les jeunes généralistes désireux de tester plusieurs territoires, à condition d’être accompagné financièrement. « Mais il faut laisser le choix de la durée d’engagement — un, deux, trois ou quatre ans — pour permettre un véritable ancrage territorial, avec un soutien adapté durant cette période. » Or à ce stade, les contours restent flous : quelle serait la durée exacte d’engagement ? Quelles missions et quelle garantie de revenu ? Quel lien avec les statuts existants ? Pas simple pour les jeunes de soutenir une promesse en construction qui pourrait se retourner contre eux.

Calendrier : l’exécutif peut-il réussir d’ici à 2027 ?

Touffu, le pacte Bayrou réclame plusieurs vecteurs législatifs pour entrer en vigueur. Pour gagner du temps, le gouvernement a décidé de se greffer sur des textes d’initiative parlementaire dont l’examen est en cours ou programmé : les propositions de loi (PPL) Garot et Mouiller sur l’accès aux soins, celle de Philippe Pradal (sur la sécurité des soignants) et celle de Nicole Dubré-Chirat sur le métier infirmier. Sans compter le projet de loi de simplification de la vie économique et, à l’automne, le budget de la Sécu (PLFSS 2026) ! D’autres dispositions du pacte trouveront une traduction réglementaire dans des décrets et des arrêtés directs que boucle le ministère de la Santé, dont celui relatif aux docteurs juniors, promis « avant l’été ». Mais le gouvernement a beau faire de la lutte contre les déserts médicaux une « priorité » pour les deux années à venir, rien ne dit que l’intégralité du plan verra le jour avant 2027. « Nous sommes en train de déterminer les modalités, a temporisé Catherine Vautrin lors de la présentation du pacte. L’objectif est que nous soyons totalement opérationnels au plus tard début septembre. »

Mais que ce soit dans les urnes (municipales et sénatoriales en 2026) ou au Parlement, le calendrier politique est déjà saturé, ne laissant que peu d’espace au déploiement de grandes réformes sanitaires, toujours chronophages. Sans compter que l’Assemblée n’est pas à l’abri d’un nouveau coup de tonnerre de l’Élysée. Ce qui rebattrait les cartes, une fois de plus, et mettrait en péril la mise en œuvre du pacte Bayrou.

Anne Bayle-Iniguez, Cyrille Dupuis et Aude Frapin

Source : Le Quotidien du Médecin