Pour le tiers payant, mais non obligatoire : le plaidoyer d'une généraliste parisienne

Publié le 26/11/2015
Mesure emblématique du projet de loi de santé, le tiers payant revient sur le devant de la scène. Alors que les députés doivent se prononcer de nouveau, a priori vendredi, sur l'article 19 du texte de Marisol Touraine qui prévoit sa généralisation d'ici à 2017, le Dr Mady Denantes publie une tribune sur le sujet. Dans cette contribution parue dans les Tribunes de la Santé, la généraliste parisienne explique pourquoi elle pratique et défend la dispense d'avance de frais. Un texte engagé mais lucide: si Mady Denantes plaide pour la généralisation du tiers payant, elle suggère aux pouvoirs publics de ne pas le rendre obligatoire. Et énonce les obstacles qui devront, en tout état de cause, être levés.
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Crédit photo : DR

Elle pratique le tiers payant depuis longtemps, reçoit elle aussi de temps à autre des courriers de l’Assurance maladie refusant de procéder au paiement et, pourtant, elle défend la mesure de Marisol Touraine. Une position qui n’empêche pas Mady Denantes, généraliste installée dans un quartier populaire de Paris, de porter un regard sans complaisance sur le projet de réforme du gouvernement. Dans la revue Les Tribunes de la Santé, elle fait part de son point de vue sur le sujet. D’autant plus riche d'enseignements qu’elle y raconte le chemin parcouru et les obstacles rencontrés, depuis l’interdiction faite aux généralistes de procéder au tiers payant à son obligation programmée pour 2017. Entre ces deux extrêmes, « est-ce qu’il n’y aurait pas une manière de passer au tiers payant moins agressive pour les médecins », interroge celle « qui ne voudrai(t) pas qu’on loupe cette possibilité de l’appliquer ». Car, selon elle, « si c’est le cas, ça risque de l’être pour longtemps ».

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Dans cet article émaillé d'exemples de « courriers de la caisse primaire d’assurance maladie refusant d’honorer des consultations pratiquées en tiers payant », Mady Denantes développe néanmoins arguments favorables à la généralisation du dispositif. Lequel devrait, à ses yeux, ne pas être imposé aux médecins. Mais ceux-ci devraient se convaincre, par l’expérience, de ses avantages... et ainsi, espère-t-elle, l’adopter... Elle en veut pour preuve ce qui s’est passé chez les pharmaciens pour qui « il n’est pas obligatoire (…) mais il y est quasiment généralisé ! Si le tiers payant est simple et garanti, il deviendra systématique, sans passer par la case obligatoire », veut-elle croire.

Des difficultés à résoudre avant tout

Mais avant, elle reconnait qu'à ce jour, « la pratique du tiers payant n’est (…) pas un long fleuve tranquille ». Le premier des problèmes qu’il convient de résoudre, « le plus inacceptable dans (la) pratique est peut-être le refus de paiement opposé par les caisses au motif que la personne n’aurait pas de droits ouverts. » Et la généraliste, proche de MG France, de déplorer qu’ « à l’heure de la couverture maladie universelle, la continuité des droits n’est toujours pas assuré administrativement ». Un point qui devrait toutefois évoluer prochainement, le gouvernement ayant introduit des dispositions dans le sens de la "protection maladie universelle" dans le budget de la Sécu pour 2016.

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Plus encore que le refus de paiement, c’est le « document obscur de la caisse lui signifiant que la ‘FSE n° 44856’ a été refusée » qui ne passe pas. Tout comme la minoration du paiement d’un acte médical prodigué à un patient dénué de médecin traitant. « Ces trois graves défaillances des régimes de protection sociale – la discontinuité des droits, la limitation à cinq ans de la durée des ALD pour des pathologies hélas incurables (démence, etc.) et l’absence de préservation de la déclaration de médecin traitant — doivent impérativement être surmontées », conclut Mady Denantes, engagée de longue date en faveur de l'accès aux soins et contre les inégalités sociales de santé. Elle s'est d'ailleurs rendue, cet été, à Calais auprès des migrants dans le cadre d'une mission de Médecins du Monde.

La relation avec les (innombrables) complémentaires santé, le prélèvement des franchises sont quelques-uns des autres aspects négatifs liés au tiers payant et abordé dans cet article. Mais, pour le reste, tout en battant en brèche les arguments liés à « la déresponsabilisation des patients », la généraliste parisienne qui exerce en maison de santé met en avant les bénéfices du mécanisme pour les médecins.

On peut réussir ce chantier, insiste-t-elle, mais en posant ses conditions. « Un payeur unique », pouvoir « choisir la sécurité sociale comme complémentaire santé » et « l’exonération du ticket modérateur chez le médecin traitant » sont à ses yeux les trois conditions pour « réussir un tiers payant favorable aux patients comme aux médecins ». Et Mady Denantes, dans une volonté de « dépassionner le débat et respecter les attentes des professionnels comme des patients », de plaider finalement pour un tiers payant « simplement laissé au libre choix des médecins et des patients ».

Les pouvoirs publics entendront-ils les recommandations  de cette généraliste qui siège par ailleurs au comité de pilotage de la "grande conférence de santé" voulue par Manuel Valls. Mais pour l'heure, on observera juste que les discussions entre l'Assurance maladie et les complémentaires santé se poursuivent à propos des modalités pratiques de mise en œuvre du tiers payant. En effet, le rapport qui devait être produit pour le mois d'octobre sera finalement rendu à l'issue de l'adoption, par le Parlement, de la loi de santé, vraisemblablement en 2016. 

 

Luce Burnod

Source : lequotidiendumedecin.fr