Le constat est sans appel ; les prisonniers français bénéficient d'un accès aux soins spécialisés très insuffisant et « globalement très dégradé », selon un rapport de l'Observatoire international des prisons (OIP) publié le 6 juillet dernier. « Pour les spécialités les plus demandées, les personnes détenues doivent parfois attendre plusieurs mois avant d’obtenir un rendez-vous, quand elles l’obtiennent ».
Perte de chance et retard de diagnostic
Selon l'enquête menée par l'OIP, les rendez-vous les moins accessibles sont les rendez-vous dentaires, suivis des rendez-vous de kinésithérapie, psychiatrie, cardiologie et ophtalmologie. « Les sollicitations reçues à l’OIP en 2021 et 2022 confirment ces constats » puisque 27 % d'entre elles concernent les problèmes d'accès aux soins dentaires.
En sus de ces délais rallongés, subsiste le problème des maladies infectieuses, particulièrement prévalentes en milieu carcéral. Le rapport note ainsi que la prévention et la prise en charge de ces maladies « sont ralenties par les contraintes liées à la détention ».
« Ces défaillances contribuent à une détérioration de l’état de santé des personnes incarcérées, avec des conséquences parfois dramatiques : des pathologies qui s’aggravent, des cancers non détectés, et plus globalement une perte de chance », alertent les auteurs du rapport.
Des conditions d'exercices dégradées
Par ailleurs, les soignants rattachés aux services sanitaires des prisons bénéficient de conditions d'exercice très dégradées. Ils « ne disposent pas toujours du temps et du plateau technique nécessaires pour dispenser les soins appropriés (...) », dénonce le rapport.
« Il y a des tas d’endroits où les services sont vétustes, le matériel informatique et les connexions obsolètes », relève Béatrice Carton, médecin généraliste au centre pénitentiaire du bois d'Arcy et à la maison d'arrêt de Versailles, dans le rapport de l'OIP.
En plus de cette « précarité de ressources matérielles », les soignants doivent bien souvent dispenser leurs soins dans des locaux exigus et partagés mettant en péril le secret médical.
« À Ensisheim, c’est l’ensemble des spécialités qui se trouvent obligées de cohabiter dans les deux seules salles de consultation : le psychiatre, le kinésithérapeute et l’ORL exercent dans le cabinet médical du généraliste, tandis que la salle de soins est mutualisée pour les soins courants et l’utilisation de l’électrocardiographe et du défibrillateur », indique le rapport de l'OIP.
Et ces difficultés de prise en charge ont des conséquences directes sur la relation entre les soignants et les patients.
Dans le rapport de l'OIP, Ariane Mayeux, médecin généraliste et cheffe de l'unité sanitaire du centre de détention de Riom témoigne : « À cause de ces problèmes d’accès aux soins, j’ai du mal à garder le lien avec les détenus, ils sont en colère, ils jettent l’éponge ».
Un manque d'attractivité criant
Ces conditions d'exercice dégradées participent largement au manque d'attractivité du secteur mais ne sont pas les seules explications à la pénurie de médecins.
En effet, selon le rapport, les « niveaux et modes de rémunérations (sont) largement défavorables » aux soignants qui exercent en prison.
Dans le rapport, le Dr Béatrice Carton préconise de « remettre sur la table les conditions d'exercice et de travailler sur la valorisation des carrières ». « Il faut qu’on reconnaisse qu’on fait un travail un peu particulier, qui fait qu’on acquiert une spécificité qui devrait être valorisée », souligne-t-elle.
Outre l'aspect pécuniaire, la médecine en détention est aussi mal connue, souligne le rapport, notamment par les jeunes médecins.
« Les médecins dans les unités sanitaires sont des médecins engagés, sauf que beaucoup sont un peu âgés et on ne voit pas la relève. C’est un problème d’organisation des études (…). Les jeunes médecins ne connaissent pas la médecine pénitentiaire. Quand il y a des postes d’internes en détention, les coordinateurs de faculté ne les ouvrent pas », regrette Marie Ahouanto Chaspoul, conseillère santé de la Direction de l'administration pénitentiaire (DAP), dans le rapport de l'OIP.
Pour faire connaître cette spécialité, des initiatives locales voient toutefois le jour, soulignent les auteurs du rapport. Le CHU de Lille a ainsi ouvert cinq postes d'interne en médecine pénitentiaire.
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