LE QUOTIDIEN : Des médecins libéraux ont manifesté le 12 mars contre les violences faites aux soignants. Adoptée à l’Assemblée en 2024, la proposition de loi (PPL) Pradal contient des mesures pour lutter contre ce phénomène. Vous avez annoncé son inscription au Sénat en mai, quelles solutions concrètes envisagez-vous ?
Dr YANNICK NEUDER : C’est un sujet dont je me suis saisi très rapidement après avoir pris mes fonctions le 24 décembre. J’ai réactivé le comité de pilotage du plan de lutte contre les violences, mis en place par Agnès Firmin Le Bodo (alors ministre chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, NDLR). Pour le secteur hospitalier et médico-social, j’ai donné la consigne aux ARS, aux directeurs d’établissement de prendre toutes les mesures nécessaires pour sécuriser les soignants. Je parle notamment des portes bloquées, d’éclairage de parking… Pour les libéraux, il faut qu’on travaille avec les élus municipaux, par exemple quand ils installent de la vidéo protection dans une commune, faire en sorte de mettre des caméras à côté d’eux. Quand j’étais maire, j’avais mis en place le bouton Shérif, pour alerter soit la police municipale, soit un proche, soit un confrère.
Pour certains sujets, on ne peut éviter le véhicule législatif. Il y a à peu près 20 000 agressions par an (chiffre de l’observatoire national des violences en milieu de santé, NDLR) et ce chiffre est probablement minoré. Il faut faciliter la déclaration de ces agressions, rendre anonyme le dépôt de plainte et que les établissements puissent se substituer au soignant. La PPL Pradal, adoptée à l’Assemblée en mars 2024, me semble complète. Elle renforce l’arsenal pénal contre les auteurs de ces agressions qui restent intolérables. Nous devons avoir une tolérance zéro vis-à-vis des violences envers les soignants. On voit bien que les forces de police et de gendarmerie sont mobilisées et les auteurs sont souvent neutralisés mais ensuite au niveau pénal, il faut renforcer les sanctions. Cette PPL le permet.
Lors de la journée du 12 mars, je me suis engagé auprès du collectif du même nom à ce que d’ici septembre 2025 l’ensemble des mesures du plan de lutte contre les violences soient bien déployées.
La PPL Garot est un mauvais message envoyé au monde médical et paramédical, qui souhaite qu’on le laisse travailler et s’organiser lui-même
La PPL transpartisane sur l’accès aux soins portée par le socialiste Guillaume Garot sera examinée début avril à l’Assemblée. Quelle est votre position sur la liberté d’installation, menacée par ce texte ?
Je ne suis pas favorable à la coercition ! Le niveau de pénurie est trop grand. Nous formons quasiment le même nombre de médecins qu’en 1970, tandis que nous sommes 15 millions de Français en plus, avec une population beaucoup plus polypathologique, porteuse de maladies chroniques. À cela s’ajoute un rapport au travail des soignants qui a fortement évolué avec la société : il faut 2,3 médecins généralistes pour en remplacer un qui part à la retraite. Bref, le remède serait pire que le mal ! Et je ne veux pas que des étudiants abandonnent leur cursus ou, qu’une fois formés, se déconventionnent et favorisent un système de santé à deux vitesses. Ce texte est un mauvais message envoyé au monde médical et paramédical, qui souhaite qu’on le laisse travailler et s’organiser lui-même. Réarmons plutôt le nombre de soignants, avec tous les leviers à notre disposition.
Justement, votre réponse à la désertification médicale est la formation. Comment comptez-vous vous y prendre ?
Il faut clairement former plus ! Je distingue quatre voies : en premier lieu, la formation initiale, où je compte aller plus loin que le numerus apertus et faire passer un examen aux étudiants, en tenant compte des besoins des territoires et des capacités des universités, ce qui devrait permettre de dépasser largement les 10 000 jeunes médecins par an, avec le renfort des 3 700 « docteurs juniors » annuels ; ensuite, j’entends atteindre le chiffre de 4 000 Padhue par an ; enfin, il faudra favoriser le retour des 5 000 étudiants à l’étranger. En trois ans, à horizon 2027, cela ferait donc près de 50 000 nouveaux médecins !

Pour la 4e année de DES de médecine générale, vous avez annoncé la publication des textes en mai et excluez donc le report de la réforme. Quels sont vos arbitrages sur la rémunération des Drs juniors ?
Tous les arbitrages ne sont pas encore faits. Je veux permettre d’apaiser les choses et d’avancer avec la publication des arrêtés en mai. Il y aura une revalorisation pour les maîtres de stage. Pour les docteurs juniors, la rémunération reposera sur une part fixe et une partie variable. C’est une année de formation mais il faut qu’on arrive à des niveaux de rémunération qui restent compatibles à ce qu’ils auraient eu sans cette 10e année. Et effectivement, un exercice dans des zones sous-dotées et la participation à la permanence des soins doivent être valorisés. Il y aura donc une part variable liée à cet engagement. Nous sommes des professionnels de santé, il faut rappeler la notion d’engagement. En parallèle, je veux que les élus locaux, les mairies, les intercommunalités, les départements, les régions travaillent à des mesures d’accompagnement notamment de transport, de logement, de garde d’enfants…
Votre texte sur le rapatriement des étudiants en médecine français à l’étranger sera examiné le 19 mai au Sénat. Comment allez-vous chercher ces carabins ?
Il faut reprendre la main sur notre système de formation, parce que j’estime qu’on l’a perdue. Il est nécessaire de réorienter l’appareil de formation, autant médicale que paramédicale. Actuellement, on ne propose pas à ces étudiants, qui se forment en Roumanie, Belgique ou Espagne, de revenir ! On leur permet seulement de passer l’internat, mais seul 1,4 % y parvient… J’ai de la marge ! Moyennant évaluation, il faut qu’on puisse les réintégrer dans notre système de santé, en deuxième cycle, pour qu’ils ne partent pas en Suisse, en Allemagne ou au Maroc une fois diplômés et qu’on ne les revoit jamais.
Vous évoquez les Padhue et la réforme des EVC que vous souhaitez engager. Quel est votre cap ?
Je veux aller vite. En 2024, nous avons ouvert 1 300 postes supplémentaires de Padhue, soit 46 % de plus que l’année précédente. Personne n’est laissé au bord du chemin, puisque ces Padhue ont tous une autorisation et un poste de praticien contractuel transitoires. Je reconnais que ce n’est pas satisfaisant – voire stressant – pour des établissements, parce que les Padhue représentent jusqu’à 30 à 40 % de certains personnels hospitaliers.
En 2025, je souhaite que les choses se passent mieux. Tous les Padhue qui exercent déjà en France auront une voie d’accès interne, avec un examen simplifié, sous forme de contrôle de connaissances, avec l’aval du chef de service. Les compétences seront évaluées en continu, comme on le fait déjà avec les internes. À terme, je veux supprimer la commission nationale, qui me semble être une usine à gaz. Pour la voie externe – donc les Padhue qui n’exercent pas en France – j’ai besoin d’un véhicule législatif. Ce sera le volet santé de la grande loi de simplification, qui sera examinée avant l’été. On transformera le concours en examen, avec un avis des instances locales : chefs de service, doyens, CME…
Oui, il faut plus de moyens pour la psychiatrie
La santé mentale a été choisie grande cause nationale pour 2025. Le secteur sinistré attend des moyens. Quelles seront vos priorités ? Quelle place pour la psychiatrie ?
Il ne faut pas que cela ne soit qu’un slogan, c’est un grand sujet. Dans la continuité de ce qu’avait proposé Michel Barnier, le psychiatre Michel Lejoyeux, Angèle Malâtre-Lansac de l’Alliance pour la santé mentale et l’élu local Daniel Fasquelle (maire du Touquet, NDLR) ont été redésignés pour dresser la feuille de route d’un plan interministériel à long terme.
Des secouristes pourront repérer les personnes en souffrance dans les entreprises, les associations sportives, notamment Sport Santé, et dans les cadres des politiques de la ville et de la médecine scolaire.
Mais il est important de distinguer la santé mentale de la psychiatrie. Et, oui, il faut plus de moyens pour la spécialité. Je souhaite que, dans la logique du plan formation, parmi tous ces nouveaux médecins, un pourcentage significatif s’oriente dans cette voie. Alors qu’environ 60 % des internes trouvent la psychiatrie compliquée et que 30 % en ont peur, il faudra communiquer et favoriser ce choix-là.
Autre mesure, je souhaite que toutes les urgences puissent avoir une personne référente dédiée à la psychiatrie, par exemple une infirmière en psychiatrie ou de pratique avancée. Il faudra aussi ouvrir des lits, dans le public et le privé – beaucoup trop ont été fermés – au fur et à mesure que des professionnels seront formés. En revanche, l’organisation en secteur doit être maintenue, ce qui veut dire qu’il faut s’appuyer sur les maisons des adolescents pour dépister mais aussi former pour renforcer les CMP.
Par ailleurs, près de 30 % des détenus ont des troubles psychiatriques, sont-ils vraiment là où ils doivent être ? Et le ministère de la Santé doit oser parler du suivi psychiatrique des personnes fichées S atteintes par des troubles psychiques. Les GED (groupes d’évaluation départementaux, NDLR) doivent mobiliser les psychiatres pour étudier les dossiers de toutes les personnes fichées S. Si les antécédents psychiatriques présentent une dangerosité, un signalement doit être fait au préfet, qui pourra enclencher une injonction de soins.
On parle beaucoup d’effort de guerre, la santé sera-t-elle sanctuarisée par le gouvernement Bayrou ? Quelles sont vos priorités en termes d’investissement mais aussi d’économie ?
La priorité est d’avoir une vision pluriannuelle, pour donner de la lisibilité aux établissements. J’espère pouvoir l’acter d’ici un mois. Ensuite, il faut prioriser des dépenses d’investissement. Là je cible la prévention : c’est dépenser maintenant pour moins dépenser demain. Dans le contexte budgétaire, j’ai bien conscience que ce seront des débats compliqués. Il faut vraiment que l’on commence à prendre ce virage.
Ce qui ne veut pas dire que je ne suis pas favorable à des mesures d’économie. Il faut travailler sur celles qui peuvent être proposées par les acteurs de la santé : c’est un message que je vais porter auprès des DG d’ARS, de CHU et de CH, des professionnels de santé sur l’efficience, le pourcentage de biosimilaires, les transports… D’une façon générale, notre système de santé a besoin de faire des économies et de se transformer et ce n’est pas lié à la situation internationale. Sans la LFSS 2025, nous en serions à un déficit de 28 milliards. Peut-on se satisfaire de cette situation ?
C’est pour cela enfin que je vais mener une action vigoureuse de lutte contre la fraude – elle représente 13 milliards d’euros pour l’ensemble de la sphère sociale, dont près de deux milliards pour l’Assurance-maladie. Je présenterai dans les prochaines semaines un plan d’action pour protéger collectivement notre Sécurité sociale et faire rentrer de l’argent pour nos investissements en santé.
J’ai saisi la Haute Autorité de santé sur une borne basse à 40-45 ans pour le dépistage
Pour la prévention, qu’envisagez-vous ? Quid de la vaccination qui pâtit de trous dans la raquette pour les jeunes et les seniors ?
Le taux de participation au dépistage des cancers doit être amélioré. Parallèlement, certains cancers – sein, pancréas, colorectal – augmentent chez les plus jeunes, j’ai saisi la Haute Autorité de santé (HAS) sur une borne basse à 40-45 ans pour le dépistage.
La médecine scolaire sera mise à contribution avec, à la rentrée, un gros coup vaccinal chez les 11-14 ans contre les HPV et les méningocoques ACWY et je me pose la question de rendre obligatoire la vaccination contre les HPV. Quant à la vaccination contre les méningocoques B, j’ai saisi la HAS pour l’étendre aux 2-14 ans avec un rattrapage pour les 11-14 ans.
Il reste des freins à la vaccination et il va falloir tirer les conclusions de la grippe cette année, alors qu’il y a eu une centaine de plans blancs. Comment inciter plus de soignants et de personnes en ALD à se faire vacciner ? Et dans les Ehpad, il est légitime de se poser la question de l’obligation vaccinale. Mais avant d’envisager de contraindre les soignants, il faut être sûr que l’incitation ait été suffisamment forte, ce dont je ne suis pas certain lors des dernières campagnes.
C’est pourquoi j’ai la volonté d’un grand plan de lutte contre l’obscurantisme. On doit tordre le cou aux fake news sur la vaccination. Au pays de Pasteur, il faut remettre des éléments de décision scientifiques et continuer d’exercer une médecine fondée sur les preuves. Les soignants doivent en être les ambassadeurs.
Quelle est votre position sur l’aide médicale d’État (AME), que votre collègue Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, souhaite transformer en aide médicale d’urgence (AMU) et que vous avez défendu en tant que député ?
Je n’ai pas changé d’avis depuis que je suis devenu ministre : je ne suis pas favorable à la suppression pure et simple de l’AME, mais je suis favorable à sa réforme. Nous devons regarder les choses avec vigilance, humanité et fermeté. Le rapport Evin-Stefanini montre des marges de progression, notamment sur la balnéothérapie qui pourrait être sortie du panier de soins. De même certains actes supplémentaires seront soumis à une entente préalable. La lutte contre la fraude doit également être renforcée, même si l’AME fait d’ores et déjà l’objet de nombreux contrôles de la part de l’Assurance-maladie. Nous pouvons avancer par la voie réglementaire pour la mise en œuvre des préconisations de ce rapport.
En revanche, nous pourrions engager un travail plus intéressant sur l’offre de soins touristique. Chaque année, 30 000 personnes viennent en France avec un titre de séjour pour soins. Ils bénéficient de prises en charge que d’autres pays, comme l’Allemagne ou l’Italie, n’accordent pas. Par exemple, l’insuffisance rénale terminale, qui nécessite une dialyse, représente 5 000 patients étrangers par an, pour un total de 500 000 euros… Il faut parler de ce sujet au niveau européen.
Le projet fin de vie est finalement scindé en deux textes de PPL, l’un sur les soins palliatifs, l’autre sur l’aide active à mourir, avec un examen au Parlement à partir du 12 mai. Quels messages souhaitez-vous adresser aux médecins ?
Deux textes, c’est la sagesse. La loi Leonetti, qui a 20 ans, est exigeante, mais peut demeurer incomplète, que ce soit pour les directives anticipées ou le déploiement des soins palliatifs. La stratégie décennale avec 100 millions d’euros par an nécessite des acteurs pour la formation avec à terme des postes d’assistants chefs de clinique, de PU-PH et de soignants. Ce qui permettra de favoriser l’hospitalisation à domicile, jusque dans les Ehpad. Beaucoup de leviers sont à activer pour rendre les soins palliatifs accessibles partout et pour tous. C’est notre devoir.
Pendant vingt-cinq ans, en tant que cardiologue, j’ai conduit des personnes à la transplantation et toutes celles qui n’avaient pas pu être greffées étaient automatiquement prises en charge en soins palliatifs par du personnel formé. Je n’ai jamais enregistré une demande à mourir. Je ne souhaite pas qu’un saut législatif pousse notre société à un saut civilisationnel parce qu’on n’a pas su apporter les soins qui, peut-être, auraient changé la demande d’aide à mourir.
Pour le deuxième texte sur l’aide active à mourir, des points me posent question. La décision doit être collégiale, ce n’est pas à un seul médecin de statuer, je ne peux pas concevoir qu’il en soit autrement pour décider de la mort d’une personne. Pour les tiers – un enfant, un parent –, avoir fait ou pas l’acte ultime peut susciter, des années après, des regrets dans les deux situations. Quant aux soignants, ils ne doivent pas être mis dans une position difficile, le volontariat doit être évoqué.
Pour autant je veux demeurer à l’écoute dans une posture où mon rôle de ministre de la Santé sera d’éclairer et orienter les débats, en exposant mes convictions comme mes doutes, de médecin, de politique et tout simplement d’homme. Si demain j’avais une maladie de Charcot, je ne suis pas sûr de vouloir passer par toutes les différentes étapes, pour moi et ma famille. Il nous appartiendra ainsi, gouvernement et parlement, de trouver avec sagesse le bon point d’équilibre pour des situations peu nombreuses, toujours douloureuses et devant être écoutées.
Ségur a deux têtes dans ce gouvernement Bayrou. Quelle est la répartition des rôles avec Catherine Vautrin ?
Nous n’avons ni la même histoire, ni le même parcours… Je me sens pleinement le ministre de la Santé et de l’Accès aux soins. Médecin depuis vingt-cinq ans, j’incarne les problématiques de santé publique, d’accès aux soins et de formation. Catherine Vautrin est dans un rôle de coordination des Affaires sociales ; une place pas facile, puisqu’elle est sur tous les différents champs que comporte son ministère. Nous nous accordons au mieux, dans une logique de complémentarité et de bonne intelligence. Au vu de la situation, à la fois nationale et internationale, nous avons une obligation de résultat.
Propos recueillis par Dr Irène Drogou, Léo Juanole et Aurélie Dureuil
Repères
1993 : Cardiologue au CHU de Grenoble
2002-2019 : Maire de Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs (Isère)
2015-2022 : Vice-président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes
Juin 2022 : Député de la 7e circonscription de l’Isère
Septembre 2022 – juin 2024 : Membre de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale
Automne 2024 : Rapporteur du PLFSS 2025
Décembre 2024 : Ministre chargé de la Santé et de l’Accès aux soins
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