Courrier des lecteurs

Service national pour les jeunes médecins : pourquoi pas ?

Publié le 26/05/2020

Dans le courrier des lecteurs du 17 mars(« Un service national pour les déserts médicaux ? Pas réaliste! ») Pierre Frances a répondu à notre confrère Yves Pirame, qualifiant sa proposition de « pas réaliste » Ce dernier préconisait de faire effectuer aux nouveaux docteurs en médecine un service national d’un an dans les « déserts médicaux ». Pierre Frances répondait en se demandant s’il était « raisonnable de demander à des jeunes durant une année de se sacrifier pour un salaire de misère ».Lui-même estimait avoir perdu son temps pendant un an de service militaire obligatoire.

En ce qui me concerne, ce n’est pas un an, mais 19 mois de service militaire que j’ai effectués, au début des années 1960. Nos aînés étaient quasiment tous allés en Algérie, non ou presque pas payés et, même si les avis différaient sur la politique du, ou plutôt des gouvernements de l’époque, je n’ai jamais entendu un jeune médecin se plaindre d’être obligé d’y faire son service militaire. Beaucoup soignaient, outre leurs compagnons d’armes, les populations dites « autochtones » et en éprouvaient une certaine fierté. De même que, plus tard, ceux qui partirent en coopération en Afrique noire ou ailleurs, s’en revenaient, ou peut dire, satisfaits.

Au retour du service militaire,ayant escompté une absence de 28 mois, qui venait d’être réduite à 19 grâce aux accords d’Evian, j’ai dû attendre une année avant de commencer mon internat, car il fallait à l’époque réserver à l’avance chez les patrons de l’Assistance Publique. J’ai occupé cette année à des remplacements de médecine générale, dans une petite ville et à la campagne, participant ainsi, sans le savoir, à la lutte contre ce qui allait devenir les déserts médicaux et ne l’était pas encore. J’en ai gardé un excellent souvenir.

Alors, quand on me dit qu’il serait « provocateur, irraisonnable, injuste » de faire faire un service national d’un an à de jeunes médecins dans leur propre pays -la France- pour rendre service à des compatriotes dans le besoin, j’avoue que j’ai du mal à comprendre.

Les femmes aussi ?

Evidemment les choses ont beaucoup changé depuis l’époque que j’ai connue. D’abord notre service militaire ne s’adressait  qu’aux hommes. Les femmes n’étaient pas concernées. Mais à l’époque, la majorité des jeunes médecins était de sexe masculin. De nos jours, c’est l’inverse : au moins 60 % des étudiants en médecine sont des étudiantes. Devrait-on leur demander, à elles aussi, d’effectuer un service, non pas militaire, mais national ?

Ensuite, si cette proposition était mise à l’ordre du jour, combien d’associations, de syndicats de médecins et d’étudiants, de sociologues, de partis politiques, s’indigneraient d’une mesure mettant en cause, au moins pour un an, la liberté d’installation, et qui serait qualifiée de liberticide ? La liberté d’installation, bien que non inscrite dans le serment d’Hippocrate, fait partie des droits fondamentaux des médecins, ce qui les autorise à mettre leur plaque, tout en restant conventionné, dans les quartiers huppés des grandes villes plutôt qu’au fin fond du Rouergue ou de la Lozère ou tout simplement dans des villes moyennes comme Evreux.

Et pourtant les pharmaciens, eux, n’ont pas la liberté d’installation : il ne leur est pas permis d’ouvrir une officine partout où cela leur chante. Ils ne s’en plaignent pas. Les enseignants n’ont pas la liberté d’installation : leur statut ne les autorise pas à choisir en toute indépendance les établissements où ils iront faire la classe. Ils l’acceptent. Les militaires n’ont pas la liberté d’affectation : elle est décidée par leurs supérieurs. Ils l’admettent…

Mais depuis la lointaine époque de mes études les mentalités ont changé. Les étudiants en médecine, qui pour entrer en première année ont subi une sévère sélection, tiennent à bénéficier, du moins théoriquement, du repos de sécurité et de la RTT. Les internes font la grève, non pas pour être payés, mais pour être mieux payés pour leurs gardes, ces gardes qui, de mon temps « faisaient partie intégrante du service » et de ce fait n’étaient pas payées du tout, sans que nous y trouvions à redire. Ce qui permet à Pierre Frances de fustiger la proposition d’un service national où l’on demanderait aux jeunes durant une année de « se sacrifier pour un salaire de misère ».

Se sacrifier ?

Il me paraît bien exagéré de considérer qu’exercer son métier dans un désert médical équivaudrait à se « sacrifier ». Ensuite rien ne prouve que ce salaire serait « de misère ». Pourquoi les médecins d’un éventuel service national ne seraient-ils pas correctement rétribués ? Les PH dans nos hôpitaux publics ne roulent sans doute pas sur l’or, mais n‘ont pas précisément un salaire de misère.

A ce sujet, je ferai remarquer qu’en France les études de médecine ne sont pas payantes, mais payées. Chaque étudiant devenant automatiquement externe puis interne est rémunéré. Pas assez, pensera-t-on, alors qu’ils sont indispensables à la bonne marche des hôpitaux. Peut-être, mais, dans les cliniques où il n’y a ni externes ni internes, comment fait-on ?

Savez-vous qu’aux Etats-Unis ou au Canada, par exemple, c’est l’étudiant, et non le contribuable, qui doit payer pour faire ses études de médecine ? Il, ou elle, emprunte, et une fois diplômé, rembourse. Je connais ainsi une doctoresse canadienne qui a commencé par aller soigner les Inuits dans le grand nord pour rembourser ses études. Elle en est revenue enchantée. N’était-ce pas là l’équivalent d’un « service national », dont ne voudraient pas nos jeunes médecins français ?

D’ailleurs en est-on certain ? Leur a-t-on seulement demandé ? Leur a-t-on expliqué, au moins, ce qu’on attendrait d’eux pour lutter contre ces déserts médicaux ? C’est avoir une bien mauvaise image de notre jeunesse médicale que de s’imaginer qu’elle refuserait tout effort pour venir en aide à la population. Son comportement exemplaire lors des attentats, et maintenant lors de cette épidémie de coronavirus COVID-19 , démontre le contraire. Alors ?

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EXERGUE : C’est avoir une mauvaise image de notre jeunesse médicale que de s’imaginer qu’elle refuserait tout effort pour venir en aide à la population. Son comportement exemplaire lors des attentats, et lors de cette épidémie de coronavirus COVID-19 , démontre le contraire. 

Dr Jean-Pierre Brunet, Médecin retraité, Evreux (27)

Source : Le Quotidien du médecin