EN MATIÈRE de prise en charge des drogues, longtemps l’approche « produit » a prévalu. Des politiques sanitaires ont été mises en place en ce sens. L’alcoolisme, la toxicomanie, le tabagisme sont devenus des domaines distincts. Les personnes soignées étaient d’abord caractérisées par la nature du produit consommé : alcoolique, tabagique, héroïnomane, cocaïnomane… Peu à peu, il est apparu aux professionnels et à la communauté scientifique que cette approche était réductionniste et aboutissait à la mise en place de politiques et dispositifs peu pertinents. De là a émergé une vision plus transversale des conduites de dépendance pathologique, centrée sur les comportements plutôt que les produits.
Au-delà des substances psychoactives, l’attention s’est peu à peu portée sur le champ des « addictions sans drogue », qui s’expliquent par des mécanismes neurobiologiques et psychologiques similaires ou proches des addictions aux substances psychoactives.
De nombreuses pathologies comportementales, comme les addictions alimentaires, les achats compulsifs, les addictions aux jeux, au travail, à la télévision, au sport ou au sexe, ont entre autres étés caractérisées. Aujourd’hui, avec l’explosion d’Internet, des cyberaddictions, en particulier celles liées aux jeux ou au sexe se développent à large échelle dans notre société. « Bien que le concept d’addiction se soit imposé depuis plusieurs années (...), le sort des addictions sans drogue restait un sujet plus ou moins tabou dans notre pays et de ce fait exclu des recommandations et dispositifs de soins et de prévention » peut-on lire dans un rapport remis en 2007 à la Mission Interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie. La MILDT a depuis mené une réflexion sur les addictions liées aux jeux, engendrant une évolution de la législation sanitaire dans le domaine des jeux d’argent et de hasard.
Forces des préjugés.
Beaucoup reste encore à faire pour améliorer la prise en charge des addictions. À commencer par une meilleure prise de conscience collective d’un phénomène où les frontières entre « vice » et maladie peuvent s’avérer extrêmement mouvantes, surtout lorsqu’il ne s’agit pas de drogues dites « dures ». Comme le constate le Conseil national du sida dans un rapport publié en 2001, « les préjugés à l’égard des usagers et la méconnaissance de problématiques liées aux substances actives sont parfois profondément ancrés dans les représentations et les attitudes d’une partie de la société française ».
L’un des principaux déterminants d’opinion vis-à-vis des drogues relève en premier lieu du degré de proximité avec les produits. Pour des raisons sociologiques et culturelles, la dangerosité de produits comme le tabac ou l’alcool reste ainsi globalement sous estimée des Français. Le caractère licite ou illicite des drogues demeure également un critère d’appréciation essentiel. Plusieurs travaux sont toutefois venus bousculer les paradigmes, favorisant une prise de conscience générale du caractère flottant et mal structuré des connaissances en matière de drogue et de toxicomanie. En 1994, dans un rapport sur les toxicomanies, le Comité consultatif national d’éthique rappelle que « la classification juridique des drogues ne repose sur aucun fondement scientifique ».
Prise de conscience politique.
En 1998, le rapport du Pr Bernard-Pierre Roques sur les « problèmes posés par la dangerosité des drogues » bouleverse les idées reçues en proposant une nouvelle classification des drogues qui ne tient plus compte de leur statut légal mais de leurs facteurs de risque (dépendance psychique, dépendance physique, neurotoxicité, toxicité générale, dangerosité sociale). Les drogues psychoactives sont alors classées en trois groupes : un premier englobant les drogues les plus dangereuses, où l’alcool est mis au même niveau que l’héroïne ou la cocaïne, un groupe intermédiaire (psychostimulants, hallucinogènes, tabac, benzodiazépine…) puis un troisième où figure notamment le cannabis.
Les polémiques qui ont suivi la publication du rapport Roques, accusé de vouloir banaliser l’usage du cannabis, ont mis en exergue l’impossibilité de fonder une classification juridique des drogues sur des critères partagés par l’ensemble de la communauté scientifique. L’approche économique des addictions révèle par ailleurs toute l’ambiguïté des politiques publiques en la matière, où l’État, soumis à la loi du marché et la nécessaire recherche de recette budgétaire favorise le développement de certains commerces ou activités de nature à favoriser des addictions (jeux, alcool, tabac..).
Néanmoins, l’évolution de la société contemporaine marquée par l’accentuation du phénomène d’addictions – en particulier chez les mineurs – a généré une certaine prise de conscience des autorités publiques. En 2006, le ministère de la Santé a d’abord créé une commission Addiction avant de mettre en place un plan national de lutte contre les addictions (2007-2011), aujourd’hui refondu dans le plan gouvernemental de lutte contre les toxicomanies (2008-2011).
Article publié dans le numéro des 40 ans du « Quotidien du Médecin »
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