DE NOTRE CORRESPONDANTE
« NOUS AVONS supprimé le côté diabolique de la plante au profit de son intérêt thérapeutique », résume le Dr Claude Vaney, chef du service de réadaptation neurologique de la Clinique bernoise, à Montana, en Suisse. Selon lui, la nouvelle loi marque donc « la fin d’un tabou ». Elle donnera aux médecins suisses, dès le 1er juillet, la possibilité de prescrire du tétrahydrocannabinol (THC), le principe actif du cannabis extrait de la plante, et non plus uniquement du Dronabinol, un produit de synthèse obtenu à base de pelures d’oranges. Claude Vaney, membre de la commission d’experts qui a préparé cette loi, est également auteur d’une étude dont les résultats, publiés en 2004*, ont démontré l’effet thérapeutique du chanvre sur les crampes musculaires et les troubles neurologiques de malades atteints de sclérose en plaques (SEP). « Jusqu’à présent la seule manière de traiter des gens avec du chanvre, était de leur dire de s’en procurer dans la rue ou de leur prescrire du THC synthétique, un produit particulièrement cher », explique le Dr Vaney. La loi reste tout de même restrictive, précise le neurologue, « puisqu’il faudra que les douleurs neurologiques que l’on souhaite traiter aient résisté à d’autres produits, ou que ces derniers n’aient pas suffisamment aidé le malade ; ce sera donc toujours un dernier recours pour le patient et de la paperasse pour le médecin ! » Une autorisation de l’Office fédéral de la santé publique sera d’ailleurs nécessaire pour chacune des prescriptions.
Pauvreté de la littérature scientifique.
Si le cannabis est connu depuis l’Antiquité, il n’a été utilisé à des fins médicales en Europe qu’après son introduction au XIXe siècle. « Au XXe siècle, nous avons peu à peu oublié ses vertus du fait de l’arrivée d’antalgiques, mais également de sa qualification de stupéfiant », souligne Claude Vaney. L’usage thérapeutique du cannabis est néanmoins autorisé dans certains pays, comme l’Autriche, les Pays-Bas, le Portugal et le Canada, ainsi que dans une dizaine d’États américains. En revanche, depuis que le cannabis a été retiré de la pharmacopée française en 1953, son usage, comme celui de ses dérivés à base de cannabinoïdes (naturels ou de synthèse), à des fins médicales reste prohibé dans l’hexagone. Si les indications thérapeutiques potentielles semblent nombreuses, en tant qu’analgésique, mais également antispasmodique, antiinflammatoire, ou encore antiémétique, « la littérature scientifique est pauvre sur ce sujet » fait observer le Dr Nicolas Authier, psychiatre et pharmacologue au centre d’addictovigilance du CHU de Clermont-Ferrand. Selon lui, la recherche sur ce type de produit n’est pas facile à mettre en œuvre, et pose de nombreuses questions éthiques : « C’est un stupéfiant, on ne peut donc pas le considérer comme un produit normal. »
Le Dr Patrick Perrin, médecin généraliste à Lyon et anthropologue, va même plus loin pour expliquer le manque d’engouement des scientifiques à s’intéresser au cannabis. « Il ne faut pas oublier que cette plante, et d’autres, a surtout été utilisée dans un contexte sacré et ritualisé, lequel protège d’ailleurs de la toxicomanie », rappelle-t-il. Et de poursuivre : « Or, il existe un diktat scientifique qui empêche toute étude sur ce qui a trait, de près ou de loin, au spirituel. » En la matière, la Suisse aurait donc un bon train d’avance sur la France !
Depuis quelques années, le Dr Vaney reconnaît avoir des appels de patients français, mais également de médecins, qui, selon lui, disent « regretter que la France soit si stricte ». Pour ce neurologue, il n’est toutefois pas envisageable de répondre favorablement aux demandes de prescriptions de patients français.
Soins transfrontaliers ?
C’est pourquoi, le 26 avril dernier, dans le cadre d’une journée mondiale d’action pour la dépénalisation du cannabis, le président du mouvement Cannabis sans frontières, interpellait le député maire d’Evry, Manuel Valls, pour que « la question du cannabis thérapeutique soit posée ». L’argument avancé par ce militant, mais aussi des associations de malades et de quelques médecins, qui préfèrent évidemment garder l’anonymat, serait d’offrir une garantie de qualité du chanvre « prescrit » et un cadre d’utilisation.
En attendant, une association baptisée Patients et réseaux d’Information sur une alternative médicale (PRISAM), qui se fait tout de même un peu discrète, ne se contente déjà plus de militer pour cette seule cause. Elle a créé deux « filières », en Rhône-Alpes et en Bretagne, dont la vocation est d’adresser des malades à des médecins suisses et anglais. Une troisième serait en cours de création, en Île-de-France, avec l’idée, cette fois-ci, de solliciter des médecins hollandais.
* « Réduction des spasmes et amélioration de la mobilité » : l’extrait de cannabis standard, administré par voie orale à raison de 5 à 30 mg, produit un effet antispasmodique. VANEY C, et al. Mult Scler 2004;10(4):417-24.
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