Par le Dr Jean Pierre Marten *
LES TROMPETTES triomphantes de la « victoire sur », ou de la « guerre contre » l’alcoolisme nous bouchent un peu les oreilles, à nous praticiens dinosaures du soin en alcoologie, exerçant l’art de soigner depuis des temps immémoriaux où le Baclofène, miracle des miracles, n’avait pas encore eu la bonté de couler telle une eau bénite des roches ameiseniennes, pour venir « sauver les patients » incurables, rétifs à toute espèce de prise en charge et nous faisant nous lamenter (paraît-il) dans les limons de l’impuissance thérapeutique et de la culpabilité...
Or, ce que semblent ignorer les concertistes de la cause baclofénienne, un projet thérapeutique élaboré avec le patient ne se résume pas à l’administration de médications aux effets vertigineusement hallucinants d’efficacité (proprement : digne d’une hallucination collective), mais procède d’un cheminement vers un horizon commun au binôme soignant/soigné, horizon qu’on appelle simplement mieux-être.
Sur ce chemin pas toujours exaltant, toute médication a évidemment sa place, toute sa place et rien que sa place, de la même manière qu’un séjour en centre résidentiel (la « cure »), ou la participation à des groupes d’entraide, sont eux aussi des outils de l’accompagnement du patient. Mais aucune médication fût-elle baclodédiée ne peut avoir de vertu de substitution à ce process, seul garant d’une efficacité sur la durée, efficacité dont le paradigme n’est pas l’abstinence à tout prix, mais une rémission du mal-être que sous-tend toujours le recours addictif à l’alcool.
Singulière alchimie.
La « maladie alcoolique » n’est pas une maladie comme les autres. N’en déplaise à la horde des nouveaux prescripteurs dont l’engouement enthousiaste rappelle la manière dont les TSO* sont jadis venus occuper le devant théorique de la scène dans l’accompagnement des patients toxicomanes, elle ne procède pas seulement d’un dérèglement ontologique des circuits neuronaux du sujet alcoolique. Devenir malade-alcoolique, c’est être acteur d’une « merveilleuse/malheureuse » alchimie issue de la rencontre entre soi-même (sujet de désir, et héritier d’une biographie à connotation parfois traumatique), et les effets psychotropes du produit, dans des circonstances environnementales particulières (une époque, un territoire, des représentations, des pairs, ou encore des systèmes relationnels où la jouissance règne dans une mise en abyme de celle de l’usage d’alcool).
Cette singulière alchimie éclaire les difficultés de l’accompagnement en alcoologie comme dans tout le champ des souffrances psychiques, car faut-il le rappeler, ou le marteler, l’humain n’est pas que de nature animale et corporelle, mais aussi un inventeur génial de la dimension symbolique des choses, qui nous inscrit dans une histoire, une mémoire, une filiation, une langue originelle, et une ou des communautés d’appartenance (familiale, conjugale, religieuse, etc.). La gestuelle addictive n’est pas simplement inscrite dans le réel de l’incorporation d’une substance, mail elle se situe tout autant dans une fabrication de sens pour la personne en processus de dépendance, ainsi que dans une dimension imaginaire là encore propre à chacun.
Ignorer cette complexité, en laissant croire qu’un traitement pharmacologique réglerait en deux coups de cuiller à pot ces questions cliniques, est une régression conceptuelle absolument affligeante, et disqualifiante à l’égard de tous ceux et celles qui pansent (avec ô combien de gratification en retour) en pensant leurs pratiques.
* Traitements de substitution aux opiacés (Subutex, Buprénorphine, Méthadone)
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