Entretien avec Philippe Jaury (1)
L’ÉPOPÉE du baclofène débute en 2008 avec la parution du livre d’Olivier Ameisen. Ce cardiologue sorti de l’alcoolisme en testant sur lui-même le baclofène à haute dose, veut faire partager ce succès. Mais la publication dans une revue scientifique (2) n’a pas ému la communauté scientifique. C’est le récit de son combat – « Le Dernier Verre ». Denoël 2008 – relayé par les médias, qui lance la machine. Les patients sont immédiatement très demandeurs. D’autant qu’Olivier Ameisen ouvre une nouvelle voie, l’indifférence à l’alcool. Le baclofène agissant sur le craving (consommation compulsive), l’abstinence n’est plus absolument nécessaire.
Face à cette demande qui vient remettre en cause leur pratique, sans compter les conflits d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique, les alcoologues sont très réticents. Seuls quelques médecins généralistes et psychiatres vont se lancer. Et prescrire à haute dose. Ce qui impose un travail en équipe, avec les pharmaciens. Or, très vite nous sommes bluffés. Des patients, initialement désireux de « juste » contrôler leur consommation, reviennent 3 – 4 mois après, en ayant totalement arrêté. Manifestement, il se passe quelque chose. Avec les quatre prescripteurs à Paris – trois psychiatres, les Dr Heim, Moulin, de Beaurepaire , et un alcoologue, le Dr Demigneux – nous nous réunissons rapidement pour envisager un suivi des patients destiné à préciser l’efficacité et les effets secondaires. Seul le Dr Renaud de Beaurepaire (Hôpital Paul Guiraud) et moi-même (médecin généraliste libéral et addictologue) pourront continuer. Les trois autres n’auront pas l’aval de leurs autorités.
Ce suivi va confirmer l’intérêt du baclofène à haute dose dans le sevrage alcoolique, avec une preuve de grade C (suivi de cohorte), relevant des taux d’abstinence historiques. Que ce soit en 2010, dans le premier suivi à six mois (3), en 2011, dans le suivi à un an de 132 patients ambulatoires (4), ou en 2012, dans la série à deux ans de 100 patients de Renaud de Beaurepaire (5).
Récemment, le Pr Granger (CHU Cochin) a confirmé ces résultats dans une nouvelle cohorte. Néanmoins les experts réclament toujours une étude de grade A. Cette étude a été lancée en mai 2012. Financé par un PHRC de l’APHP, cet essai randomisé en double aveugle versus placebo, nommé BACLOVILLE, est le premier essai de phase IIb (changement d’indication et de posologie d’une ancienne molécule) mené en ambulatoire. Dans toute la France, 60 investigateurs ont recruté 320 patients. Les résultats sont attendus en juin 2014. Et un essai, financé par l’industrie, nommé Altadir, a démarré à l’hôpital.
Pendant ce temps, de nombreux médecins généralistes et psychiatres nous ont rejoints. La CNAM chiffre à 50 000 les patients sous baclofène. Et cette molécule devrait enfin bénéficier d’une RTU (Recommandation Temporaire d’Utilisation). Pour aider à la prescription, un réseau de médecins, RESAB, s’est constitué et va lancer des formations. La prescription de baclofène doit en effet s’insérer dans une prise en charge globale bio-médico-psycho et sociale.
(1) médecin généraliste, addictologue, Paris
(2) Ameisen O. Alcohol Alcohol 2005, 40:147-50
(3) Ameisen O, de Beaurepaire. Annales Médico-Psychologiques 2010;168:159-62
(4) Rigal L et al. Alcohol Alcohol. 2012; 47:439-42
(5) Front Psychiatry. 2012; 3:103
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