EN 2004, la France était le pays d’Europe où le nombre de femmes fumeuses avant la grossesse était le plus important (37 %), de même que la proportion de celles fumant pendant toute leur grossesse (20 %). Neuf ans après la conférence de consensus*, les chiffres restent inchangés. « La situation est loin d’être satisfaisante, déclare le Pr Michel Delcroix (Lille). Nous avons élaboré des recommandations soutenues par l’Anaes et elles ne sont pas appliquées ! Avec une vingtaine d’équipes, nous avions rédigé une charte "Maternité sans tabac" et, dès 2005, 200 la signaient ; 250 en 2006 ; et 280 en 2007. Nous avons été soutenus jusqu’en 2007 par la Direction générale de la santé (DGS). Depuis, nous n’avons plus aucune assistance pour mettre en œuvre les recommandations ». La première des préconisations était de rembourser les traitements nicotiniques substitutifs (TSN), ceux-ci ayant démontré qu’ils étaient le moyen le plus efficace pour le sevrage, particulièrement pendant la grossesse. « Il a fallu six ans d’efforts, s’indigne le Pr Delcroix, pour obtenir 150 euros (3 mois de traitement) ». Or, ce sont les femmes aux conditions économiques les plus défavorables qui fument le plus. Sans compter que le prix des TSN varie du simple au triple, « ce qui relève du scandale absolu, souligne-t-il, et les sages-femmes et les médecins qui peuvent les prescrire ne le font pas, sous prétexte qu’ils ne sont pas formés ! »
CO dans l’air expiré.
Les recommandations de 2004 stipulaient également que la réalité de l’intoxication tabagique est à évaluer par le dosage du monoxyde de carbone (CO) dans l’air expiré. Cette mesure est facile à intégrer à toute consultation pré- ou postnatale. Elle peut aider à motiver à la fois la femme enceinte et le professionnel de santé, à l’initiation et la poursuite de l’arrêt. Or « cette mesure n’est pas ou très peu appliquée : moins d’une femme enceinte fumeuse sur vingt en bénéficie, remarque le Pr Delcroix, alors qu’elle devrait être effectuée de façon systématique comme la mesure de la tension artérielle. C’est consternant, d’autant que les femmes qui fument du tabac consomment parfois du cannabis, lequel produit six fois plus de CO que le tabac ; le comble étant le narguilé au cannabis ou au tabac à la pomme, qui produit 30 à 60 fois plus de CO que le tabac. On est dans le déni médicalement assisté ! »
Mortalité périnatale.
Tout ceci fait de la France un des pays d’Europe où la mortalité périnatale et in utero est très élevée. « Or, le premier facteur de mort évitable in utero est le tabac, le deuxième le cannabis, le troisième l’alcool... et quelquefois les trois en même temps. Après un appel d’offres de la DGS, explique le Pr Delcroix, nous avons récemment monté l’étude TGV RCIU (tabac, grossesse, vulnérabilités, retard de croissance intra-utérin) sur des femmes enceintes fumeuses. Pilotée par le CHU de Limoges, elle vise à démontrer avec six maternités "action" et six maternités contrôles, qu’en cas de sevrage avant trois mois de grossesse, la prévalence de RCIU rejoint celle des femmes qui ne fument pas ».
En outre, la première cause évitable de petit poids de naissance est le tabac, aussi première cause évitable de prématurité.
En ce qui concerne les morts maternelles, on estime que près d’une sur deux est évitable et que la première cause est représentée par les hémorragies de la délivrance. « Or il faut savoir qu’en cas de tabagisme important, le CO se fixe sur l’hémoglobine mais aussi sur la myoglobine, en particulier de l’utérus, ce qui est à l’origine de l’atonie utérine, cause de certaines hémorragies graves de la délivrance », précise le Pr Delcroix.
« Le problème du tabagisme des femmes enceintes soulève également celui de l’allaitement maternel (lire ci-dessous), conclut-il. La France est le pays d’Europe, avec l’Irlande, à avoir le taux d’allaitement le plus faible. Probablement parce que ce sont les femmes qui fument toute leur grossesse qui allaitent le moins et, quand elles allaitent, le font moins longtemps. »
Entretien avec le Pr Michel Delcroix (Lille), Président du comité d’organisation de la conférence de consensus 2004, Président de l’APPRI Maternité sans tabac.
*Conférence de consensus Grossesse et Tabac, 7 et 8 octobre 2004
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