En Europe, 90 % des patients alcoolodépendants échappent aux soins (1). Ainsi que l’explique Éric Peyron, un travail présenté par le Pr François Paille, lors du dernier congrès français de psychiatrie (2) a montré qu’un patient présentant une dépendance à l’alcool mettait environ 25 à 30 ans pour entrer dans le circuit de soins : 17 ans avant d’arriver chez le médecin généraliste, 5 ans avant d’être hospitalisé aux urgences pour ivresse aiguë et encore 4 à 5 ans pour bénéficier d’une prise en charge adaptée. L’évaluation des niveaux de consommation devrait donc être systématique chez tous les patients.
Alors que l’usage nocif associé à des dommages somatiques, psychiques ou sociaux passe rarement inaperçu, l’usage à risque est probablement sous-diagnostiqué. Il se définit par un dépassement des seuils de manière ponctuelle ou régulière, sans dommage somatique, psychique ou social immédiat ou par des consommations en dessous des seuils, mais dans des situations particulières à risque (mineurs, grossesse, conduite de véhicule, médicaments ou pathologies incompatibles, activité professionnelle ou sportive...). La dépendance fait allusion à la perte de contrôle. Cette approche catégorielle prônée par le DSM-IV et la CIM 10 cède aujourd’hui la place à l’approche dimensionnelle du DSM-V qui défend l’idée d’un véritable continuum et introduit la notion de craving (besoin irrépressible) comme un critère diagnostique à part entière d’un trouble de l’usage de substance.
Évaluer les fonctions cognitives du patient pour optimiser la prise en charge
La réalisation d’un bilan neuropsychologique permettant d’évaluer les fonctions cognitives du patient semble être une étape essentielle dans l’optimisation de la prise en charge. Une altération du jugement ou de la mémoire peut en effet favoriser le déni. De même, une altération des fonctions de planification peut rendre la prise en charge plus complexe avec des difficultés d’adhésion au traitement malgré une réelle motivation. Dans l’expérience clinique qu’il rapporte, le Dr Peyron souligne que 50 % des patients suivis dans son service présentent une altération de trois ou quatre fonctions cognitives parmi les cinq explorées. Dans l’idéal, ce bilan devrait être effectué par un neuropsychologue au moins 15 jours après la réalisation du sevrage.
La réduction de consommation, une alternative à l’abstinence ?
Si l’abstinence reste un objectif prioritaire en cas d’alcoolodépendance ou de mésusage associé à des comorbidités somatiques ou psychiatriques, la moitié des patients alcoolodépendants ne sont toutefois pas disposés à s’abstenir. Cet impératif d’abstinence représente donc un obstacle aux soins pour beaucoup. Considérée aujourd’hui comme une alternative acceptable et perçue comme un objectif thérapeutique plus accessible, la réduction de la consommation peut permettre à certains patients d’entrer dans une démarche de soins. La possibilité de choisir son objectif thérapeutique est un gage d’efficacité et il est fréquent que le patient glisse d’ailleurs d’un objectif à l’autre. En outre, les programmes orientés vers l’abstinence ou vers la réduction de la consommation ont des résultats similaires. Enfin, en termes de bénéfice clinique, une réduction même faible de 3 verres quotidiens chez de gros consommateurs (14 verres/j) se traduit par une réduction du risque de mortalité dix fois supérieure à celle obtenue chez les faibles consommateurs passant de 3 verres/j à l’abstinence.
Créer l’alliance thérapeutique avant d’avoir recours aux traitements médicamenteux
« Le recours au traitement médicamenteux ne doit intervenir qu’après échec des interventions psychosociales », a insisté Philippe Lack. Dans une stratégie de réduction, le nalméfène ne peut ainsi être initié que chez les patients qui gardent une consommation élevée deux semaines après l’évaluation initiale. Contre-indiqué en cas de prise d’opiacés pour ne pas risquer un syndrome de manque, il se prescrit à raison d’un comprimé par jour à prendre de préférence 1 h 30 à 2 h avant le moment où le patient est en difficulté avec l’alcool, d’où l’intérêt de la tenue d’un agenda des consommations. Le baclofène, qui ne se prescrit que dans le cadre d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) n’est préconisé qu’en cas d’inefficacité ou de contre-indications du nalméfène.
Les médicaments d’aide au maintien de l’abstinence seront prescrits une fois le sevrage obtenu et toujours associés à un suivi psychosocial : acamprosate ou naltrexone en 1re intention, disulfirame ou baclofène (RTU) en 2e intention.
(1) Kohn R et al. Bull World Health Organ 2004 ; 82 : 858-66.
(2) Paille F, Reynaud M. L’alcool : une des toutes premières causes d’hospitalisation en France. Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire 2015, à paraître.
* Réunion « Rendez-vous du Quotidien » sur « Dépendance à l’alcool : le médecin généraliste au cœur de l’action », organisée à Lyon avec le soutien institutionnel des laboratoires Lundbeck
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