Grâce à une étude prospective menée pendant dix ans chez des patients admis dans le service des maladies de l’appareil digestif de l’hôpital Huriez (CHRU de Lille), le Pr Alexandre Louvet et son équipe ont mis en évidence l’alcool comme facteur de risque majeur d’hépatite chez les patients qui prennent du paracétamol aux doses recommandées pendant plusieurs jours.
Le cytochrome p450 ne transforme qu’une faible partie du paracétamol en un métabolite toxique N-acétyl-p-benzoquinonéïmine. En respectant des doses faibles de paracétamol, les quantités de métabolites toxiques sont théoriquement trop faibles pour provoquer des effets secondaires. Or si l’hépatite sévère au paracétamol s’observe le plus souvent après une prise massive de paracétamol lors d’une tentative de suicide, elle peut survenir chez un patient ayant respecté les doses recommandées (dose thérapeutique à ne pas dépasser : 6 g/j ; dose recommandée inférieure ou égale à 4 g/j). Cette dernière circonstance que le Pr Louvet qualifie de « mésaventure thérapeutique » pourrait, selon le chercheur, s’expliquer par une réduction des défenses antioxydantes induite par la prise régulière d’alcool qui rend le foie plus sensible au N-acétyl p-benzoquinonéïmine.
Presque 90 % de buveurs excessifs
Entre 2002 et 2014, sur les 447 patients admis pour hépatite aiguë sévère, 271 patients l’ont été pour une hépatite sévère au paracétamol, avec des taux de prothrombine inférieurs à 50 %. Parmi ces patients, 207 relevaient d’un surdosage en paracétamol (SP) et 66 d’une mésaventure au paracétamol (MP). La dose moyenne de paracétamol était de 16 g (absorbée en une journée) chez les patients SP versus 3,15 g/j (sur une période moyenne de 4 jours) chez les patients MP. Chez 70 % des patients MP, la dose de paracétamol était même inférieure à la dose quotidienne recommandée de 4 g. La différence la plus frappante entre les deux groupes était le pourcentage de buveurs excessifs : 89,4 % dans le groupe MP contre 36,6 % dans le groupe SP.
Vers une modification des RCP
Le pronostic clinique est moins bon en cas de mésaventure au paracétamol qu’en cas de surdosage. Les fonctions hépatiques sont plus altérées et les taux de transaminases plus élevés. La survie à un mois est plus faible dans le groupe mésaventure (84,6 %) que dans le groupe surdosage (92,6 %).
« Ces résultats sont un signal pour les médecins généralistes. Ils doivent être très prudents avant de prescrire du paracétamol de façon répétée à des patients consommant abusivement de l’alcool », indique le Pr Louvet.
« Beaucoup de nos patients en mésaventure au paracétamol se sont soignés eux-mêmes après une douleur. Le paracétamol n’est pas considéré comme un médicament, et nos résultats doivent questionner notre rapport à cette molécule, au moment où l’on parle de plus en plus de la rendre disponible en grande surface », estime le Pr Louvet. Les médecins lillois envisagent de publier ces résultats, et espèrent qu’une réflexion sera menée par l’agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) afin de modifier les RCP des antalgiques contenant du paracétamol.
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