SES TREIZE ANNÉES d’exercice au centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) de Caen donne au Dr Catherine Herbert un certain recul pour apprécier les grandes évolutions dans les modes de prise en charge des patients toxicomanes. « Depuis environ cinq ans, j’ai vraiment le sentiment que les choses ont changé, concernant tout d’abord les consommations. Dans le centre où je travaille, nous recevons principalement des consommateurs d’opiacés et de cocaïne. Parmi les produits illicites, de manière générale, le plus consommé reste bien sûr le cannabis, devant la cocaïne et tous les stimulants, en particulier les amphétamines. Ce qui est frappant est le développement de l’usage de la cocaïne dans tous les milieux. Nous recevons de plus en plus de jeunes d’une vingtaine d’années qui ont déjà expérimenté ce produit. Un autre fait marquant est la disparition, aujourd’hui, des frontières entre les produits licites, illicites et les médicaments. Nous voyons de plus en plus de personnes dépendantes aux médicaments, en particulier aux benzodiazépines et aux opiacés, mais surtout, de plus en plus de polyconsommations qui peuvent conduire à des polydépendances, souligne le Dr Herbert. Et, chez les sujets jeunes, nous constatons une pratique assez large de la "défonce" avec de l’alcool, du cannabis et des médicaments », ajoute-elle.
Un tournant majeur.
Quant aux modes de prise en charge, un tournant majeur s’est opéré au milieu des années 1990 avec le développement des traitements de substitution. « Nous avons vu se mettre en place, au fil des ans, une prescription plus rapide de ces traitements de substitution aux personnes dépendantes aux opiacés. C’est une évolution qui est allée dans le bon sens, même si je sais qu’un certain nombre de psychiatres ont observé avec une certaine réticence ce développement de la substitution qui revenait, selon eux, à laisser en circulation des produits psychotropes et à faire, parfois, passer au second plan l’objectif de sevrage des patients. Je partage l’idée que le but est d’arriver au sevrage. Mais j’estime aussi que la substitution permet de faire un vrai travail thérapeutique. C’est un outil qui permet d’éviter le manque physique, psychique ainsi que le phénomène de craving», souligne le Dr Herbert.
Aujourd’hui, les deux produits piliers de la substitution restent la buprénorphine et la méthadone. « Pendant longtemps, on a observé une distribution assez large de la buprénorphine, ce qui a entraîné un certain nombre de dérives et de détournements des usages du produit avec des pratiques d’injection ou de consommations par le nez. La méthadone, elle, était plutôt réservée aux "vieux" toxicomanes, des gens qui avaient souvent une très longue consommation d’héroïne derrière eux. Mais, depuis cinq ans, on constate une évolution assez significative avec une augmentation du nombre de personnes sous méthadone. Il s’agit d’un produit de substitution intéressant, car il permet de mieux calmer l’anxiété et la dépression que la buprénorphine. Le risque de détournement de l’usage du produit est aussi nettement moins important puisqu’il se présente, le plus souvent, sous la forme d’un sirop », indique le Dr Herbert, en constatant que, depuis quelques années, la méthadone est devenue un « produit de prédilection » pour beaucoup de patients. « Certains se le procurent au marché noir. Désormais, quand on propose aux patients de la buprénorphine, il arrive souvent qu’ils refusent et préfèrent de la méthadone », indique le Dr Herbert, en ajoutant qu’un certain nombre de ces toxicomanes ont compris que, avec la méthadone, ils peuvent continuer à consommer de l’héroïne ce qui, en principe, n’est pas possible avec la buprénorphine. « Nous voyons souvent un phénomène de va-et-vient entre les traitements de substitution et la consommation. »
Pour le Dr Herbert, ces traitements de substitution s’inscrivent nécessairement dans la durée. « Certains sont persuadés qu’ils vont prendre ce traitement pour seulement quelques mois et pouvoir ensuite arrêter. Mais c’est souvent une illusion et, au départ, je leur dis qu’ils vont probablement prendre ce traitement de substitution le même nombre d’années que celles durant lesquelles ils ont consommé. Il arrive aussi régulièrement de voir des patients demander de la méthadone alors qu’ils sont toujours dans une phase où ils ont envie de consommer. Ce qui, parfois, nous place devant un choix difficile car on ne sait pas si on doit ou non entamer ce traitement de substitution », reconnaît le Dr Herbert, en ajoutant que la priorité est de s’inscrire dans une logique d’accompagnement des personnes, de création du lien thérapeutique, en donnant la priorité à la réduction des risques, notamment infectieux.
Le Dr Herbert insiste enfin sur la place nécessaire de la psychothérapie. « Quel que soit le produit ou le traitement délivré au patient, il faut de la parole, même avec les traitements de substitution. Si on n’agit que sur le produit avec un traitement médicamenteux, la prise en charge n’a aucun intérêt. Il est essentiel de garder un espace pour une parole psychothérapique. Pendant longtemps, la figure de référence pour ce travail a été la psychanalyse. Aujourd’hui, c’est de moins en moins le cas. Désormais, les référence, ce sont davantage les thérapies cognitivo-comportementales et l’analyse motivationnelle. Pour moi, qui suis par ailleurs analyste, ce n’est pas une évolution forcément très positive. Les TCC et l’analyse motivationnelle peuvent être une première étape en permettant de changer un comportement. Mais il ne faudrait pas oublier le fait qu’il y a souvent des choses plus profondes et inconscientes qui expliquent ces consommations », indique le Dr Herbert.
D’après un entretien avec le Dr Catherine Herbert, addictologue au centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) de Caen.
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