Le domaine de l’alcoologie a beaucoup évolué depuis ces dernières années et l’implication des sociétés savantes, notamment la Société française d’alcoologie, a permis une redéfinition des critères et des recommandations en la matière.
À la différence des objectifs passés, longtemps basés sur l’abstinence, l’état d’esprit actuel est de proposer au patient alcoolodépendant une réduction de sa consommation, afin de limiter les dommages et d’améliorer son pronostic fonctionnel. La mise à disposition de nouvelles molécules (comme le baclofène et le nalméfène) s’inscrit dans ce nouvel objectif possible de réduction de consommation.
La gravité des enjeux sanitaires et sociaux
L’alcoolodépendance est responsable d’une importante diminution de l’espérance de vie (20 % chez l’homme et 22 % chez la femme) et, parmi les 10 principaux facteurs de risque, l’alcool s’inscrit au premier rang quant au nombre d’années de vie perdues. L’alcool est responsable de nombreuses conséquences à court terme sur le plan individuel (perte des relations, stigmatisation, difficultés familiales…) ; il représente le premier facteur modifiable responsable de la mortalité sur la route et la première cause de violence conjugale. À long terme, l’alcool est le 4e facteur de risque de morbidité en Europe, après l’hypertension artérielle, le surpoids et le tabac auxquels il est souvent associé.
Des travaux, et notamment l’étude de Rehm et al. (1), ont montré qu’il est possible de changer la vie d’un patient alcoolodépendant en fonction du type de consommation, du sexe et à un moment précis, au lieu de se résigner à l’impression de ne plus avoir de moyens d’action en cas de consommation très importante. « Les données montrent que le risque de décès peut être évité si le patient parvient à réduire sa consommation, rapporte le Pr A. Benyamina, d’où l’intérêt que ces patients soient repérés le plus tôt possible par le MG qui ne doit pas se négliger comme possible intervenant dans le repérage de ces patients, en allant vers eux et en leur permettant notamment de s’exprimer sans culpabilité. »
Quelques pistes de repérage
L’abus d’alcool et l’alcoolodépendance sont parmi les troubles mentaux les plus sous-traités : moins de 10 % de ces patients reçoivent un traitement, et 92 % ne sont pas pris en charge dans un espace de soins. En pratique, le MG se sent démuni face à ce patient alcoolodépendant qui, le plus souvent, ne consulte pas pour son problème d’alcool mais pour un autre motif et se présente avec son ambivalence et sa culpabilité.
En premier lieu, conseille le Pr Benyamina, « il faut repérer le triptyque biopsychosocial et ne pas attendre la survenue de complications classiques (lame d’ascite ou saignements digestifs…). L’objectif est d’intervenir à l’aide d’une démarche motivationnelle qui va interpeller le patient (repérer les contradictions dans son discours et le reformuler), d’explorer les antécédents familiaux de dépendance à l’alcool et les vulnérabilités (situations de stress…). »
Le repérage des patients est facilement effectué sur les critères de consommation proposés par l’INPES (jamais plus de 4 verres par occasion ; pas plus de 21 verres/semaine chez l’homme et 14 verres/semaine chez la femme). Parmi les outils, l’Audit-C peut être proposé au patient et permet de détecter un mésusage probable.
Les trois critères d’usage à risque, d’usage nocif ou de dépendance permettent de caractériser la consommation d’alcool. La nouvelle version du DSM-5 fait état de critères de sévérité et non plus des critères d’abus et de dépendance (sévérité faible = 2-3 critères ; modérée = 4-6 critères : sévère› 6 critères).
L’idéal théorique est d’identifier et diagnostiquer tout patient une fois par an, alors que l’idéal pragmatique est de distinguer les patients chez qui sont perçues des vulnérabilités, un changement biopsychosocial, et ceux avec des dommages.
Comme le souligne le Pr Benyamina, « l’avantage du MG par rapport au spécialiste est lié au fait que le patient préfère consulter son médecin traitant pour gérer à deux un problème qu’il pense être curable. Une fois passé le cap du non-dit, l’objectif est renégocié pour être partagé (réduction ou abstinence) en sachant que, lorsqu’un patient demande de l’aide, ce n’est pas nécessairement pour devenir abstinent, mais pour réduire sa consommation et limiter les conséquences de son alcoolisation. L’objectif est de parvenir à un contrat tacite visant à réduire la consommation, à limiter les dommages et la morbidité, et de faire entrer ces patients dans un espace des soins. »
* Pr Amine Benyamina, psychiatre et addictologue, Paris 11 et service d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse à Villejuif, chercheur à l’INSERM 669.
Réunion « Rendez-vous du Quotidien » sur « Dépendance à l’alcool : le médecin généraliste au cœur de l’action », organisée à Paris avec le soutien institutionnel des laboratoires Lundbeck.
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