L’espèce humaine a deux grandes failles qui sont la dépendance (pulsion d’attachement affectif, besoin de l’autre) et la nécessité de jouissance (recherche du plaisir immédiat). « De ce fait, commente le Dr Jean-Philippe Lang, il est difficile de parvenir à ce qu’un usager arrête l’alcool s’il n’a aucune satisfaction à arrêter sa consommation et s’il ne s’inscrit pas dans un projet de vie, d’évolution. De plus, un certain nombre de fonctions cognitives peuvent être altérées chez l’alcoolodépendant, alors qu’elles sont directement impliquées dans la capacité de prendre une décision et s’inscrivent dans une dimension de contrôle, de sevrage. »
Ces anomalies cognitives ont un retentissement sur la vie sociale et professionnelle des patients, sans même qu’ils ne se rendent compte. Parmi les 11 critères du DSM5, les dommages cognitifs permettent notamment de repérer un problème d’alcool.
Par ailleurs, des études ont montré que la préférence thérapeutique va de pair pour l’abstinence ou pour la réduction. En outre, la participation des patients aux objectifs thérapeutiques est un facteur de réussite (68 % de bons résultats) quand le patient choisit lui-même la réduction ou l’abstinence.
On sait actuellement que la corrélation entre la consommation d’alcool et la mortalité toutes causes confondues répond à une relation exponentielle, de sorte que le bénéfice de la réduction de consommation chez un gros consommateur est très important en termes de risque sur la santé, même pour une réduction modeste de sa consommation d’alcool.
La réduction de consommation, un objectif recevable
La réduction de consommation est devenue un objectif recevable validé par les grands organismes de santé. D’où la place importante du médecin généraliste dans la prise en charge des patients ayant un problème avec l’alcool. En cas de mésusage (Audit-c ≥ 3 chez la femme ; ou ≥ 4 chez l’homme), l’objectif idéal chez un patient sans comorbidités est la réduction qui permet de diminuer les risques. S’il présente des comorbidités, l’objectif idéal est l’abstinence en vue de diminuer les dommages. En cas de forte consommation (Audit-C ≥ 10), l’objectif idéal est l’abstinence avec orientation vers une structure alcoologique ou des filières de soins régionales.
En pratique, « l’arrêt de la consommation d’alcool n’est pas l’étape nécessairement la plus ardue, explique le Dr J-P Lang. En revanche, le maintien de l’arrêt est toujours très difficile. » Avant d’envisager la prise de médicaments, l’intervention psychosociale à visée motivationnelle est envisagée chez un patient motivé pour un objectif partagé de réduction des risques immédiats et de la consommation. Les médicaments dont disposent les médecins généralistes pour aider les patients dans le maintien de l’arrêt ou de la réduction sont en première intention l’acamprosate, la naltrexone (avec possibilité d’associer les deux produits) et le nalmefène qui a obtenu récemment l’AMM en première intention, en association avec un suivi psychosocial. Cet antagoniste des récepteurs opiacés permet de réduire l’appétence à l’alcool. Il est contre-indiqué en cas de prise d’opiacés pour éviter le syndrome de manque. L’efficacité est atteinte une heure et demi à deux heures après une prise, d’où l’intérêt pour le patient de repérer les moments où il est en difficulté avec l’alcool, de façon à prendre idéalement le médicament une heure et demi à deux heures avant. Comme l’explique le Dr J-P Lang, « le nalmefène aide au contrôle de la consommation, mais il offre simplement une « conduite assistée » et n’est pas un traitement de sevrage. Si le patient réduit une forte consommation de 10 verres à 4 ou 5 verres, il est conseillé d’associer un traitement de sevrage (benzodiazépines, vitamine B1 et hydratation) pour éviter le risque d’un syndrome de sevrage.
Quant au baclofène, autre médicament proposé dans l’aide à la réduction de la consommation d’alcool, il ne peut être prescrit qu’en deuxième intention, après que les médicaments classiques aient été prescrits en première intention et sans résultats. Il est l’objet d’une évaluation dont on attend la publication des résultats. Pour l’heure, le baclofène peut être prescrit dans le cadre d’une RTU (recommandation d’utilisation temporaire) pendant un mois maximum en prescription hors AMM, avec augmentation très progressive des doses jusqu’à la dose efficace.
(1) Dr Jean-Philippe LANG, psychiatre addictologue au CHRU de Strasbourg, Président du CIRDD d’Alsace (Centre d’information régional des drogues et dépendances).
* Réunion « Rendez-vous du Quotidien » sur « Dépendance à l’alcool : le médecin généraliste au coeur de l’action» organisée à Strasbourg avec le soutien institutionnel des laboratoires Lundbeck.
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