EN TANT QUE MÉDECIN praticien, je suis comme tous dans l’attente de progrès thérapeutiques dans la prise en charge de nos malades alcooliques, mais en tant que professeur de thérapeutique, je me dois d’exiger une évaluation solide des nouvelles stratégies médicamenteuses avec un haut niveau de preuve qui repose sur la réalisation d’essais contrôlés et randomisés versus placebo. Combien de médicaments extraordinaires lors d’études préliminaires sans groupe contrôle se sont finalement avérés sans intérêt au terme des essais randomisés !
L’évaluation du baclofène a pris un retard initial bien délétère du fait des conflits internes entre addictologues, généralistes et psychiatres, des discussions houleuses sur la définition du sevrage, sur la nécessité d’une hospitalisation... S’y est ajoutée la bureaucratie réglementaire, éternel frein à la mise en place d’essais thérapeutiques, et la difficulté chronique à réaliser des essais sur des médicaments anciens et génériqués dans une nouvelle indication. Mais alors que les essais ont enfin démarré, d’autres obstacles sont apparus : l’irresponsable demande fanatique des « pro-baclofène » à vouloir disposer de ce traitement avant l’obtention des résultats des essais cliniques et l’inconscience des autorités de santé qui proposent une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) alors qu’aucune preuve tangible n’est publiée, sont un triple coup de poignard dans le dos du baclofène :
- En autorisant l’utilisation hors AMM et hors essais cliniques, on ralentit l’inclusion dans les actuels essais en double aveugle et on incite les patients à sortir des essais pour obtenir le médicament « en ouvert » et donc on menace la qualité de l’analyse finale des résultats d’efficacité.
- En proposant l’utilisation du produit, on « magnifie » son efficacité thérapeutique et on sait que ce préjugé favorable entraîne toujours une amélioration du taux de réponses dans les essais pour les malades traités, mais aussi pour les malades sous placebo. Il est raisonnable de penser que tout ce bruit autour du baclofène augmentera l’effet placebo dans les études en cours et risque donc de diminuer la différence observée entre le placebo et le baclofène, voire même de conduire à un résultat faussement négatif par manque de puissance.
- Parier sur un rapport bénéfice/risque positif alors que les essais thérapeutiques sont en cours, c’est vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Que ferons-nous si l’étude est négative, si l’AMM ne peut être obtenue ? Devrons-nous imposer l’arrêt du traitement aux malades sous baclofène qui se sentiront améliorés ?
Pour un médicament, l’heure de l’évaluation est à différencier de l’heure de son utilisation. Savoir attendre, c’est garantir de bien traiter avec un haut niveau de preuve scientifique. Traiter prématurément c’est risquer un traitement inutile si le rapport bénéfice/risque est défavorable ou si le bénéfice observé est finalement minime. Il vaut mieux attendre un an de plus pour traiter une affection chronique avec certitude et conviction, que de vouloir gagner du temps en perdant la raison.
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