Face à la maladie alcoolique largement sous-diagnostiquée et sous-traitée, quel est le rôle du médecin généraliste ? Pour le Pr François Paille, le premier rôle du MG est « de repérer des situations, des signes évoquant un trouble de l’usage d’alcool, pas nécessairement spécifiques, mais qui peuvent alerter, sachant que le patient vient en général consulter pour un autre motif. L’objectif est d’engager le dialogue, d’aborder le sujet alcool avec le patient, sans le culpabiliser ».
Ce repérage peut reposer sur des moments clés, par exemple lors d’un examen systématique régulier, lors de la survenue de dommages en lien possible avec l’alcool, d’une grossesse, de situations de vulnérabilité, de pathologies résistantes au traitement, de la prise de médicaments incompatibles avec l’alcool...
Penser à l’alcool devant tout changement biopsychosocial
En pratique, une grande vigilance s’impose lors de tout changement négatif sur le plan somatique, personnel, psychologique ou socioprofessionnel.
« Un outil simple de repérage (l’Audit-C) permet de savoir en trois questions si la personne est en situation de mésusage, voire d’évoquer une alcoolodépendance, explique le Pr Paolo Di Patrizio. L’Audit-C présente également l’intérêt de pouvoir être utilisé comme autoquestionnaire en invitant le patient à le remplir pour la prochaine consultation. »
Comme le souligne le Pr F. Paille, « une intervention brève est recommandée dans les cas les moins sévères de mésusage, en veillant à demander au patient l’autorisation de parler de sa consommation d’alcool. S’il est d’accord, l’idée est de lui faire évaluer sa consommation en lui proposant de remplir un carnet de consommation quotidien. Cette démarche se révèle être un élément puissant de discussion car il permet au patient d’objectiver ce qu’il consomme ».
Il est important ensuite d’inviter le patient à revenir dans la semaine ou les quinze jours suivants en vue d’une consultation spécifique sur le sujet alcool. « L’intervention brève a l’intérêt d’être rapide et efficace, ajoute le Pr P. Di Patrizio, et vise à modifier le comportement de consommation du patient. »
Objectif actuel : réduire les risques et les dommages
L’action du médecin doit viser à réduire les risques et les dommages liés à la consommation d’alcool, en la centrant sur le choix du patient, sur ce qu’il pense pouvoir faire. Ce peut être une réduction de consommation.
En cas d’alcoolodépendance, l’abstinence reste habituellement l’objectif à privilégier, d’autant plus que la conduite est plus sévère. Mais, si le patient n’est pas prêt ou ne peut pas arrêter sa consommation, se pose la question de savoir comment le médecin généraliste peut aider ce patient à réduire les dommages ?
Les dernières recommandations de la SFA (Société française d’alcoologie) tendent vers un assouplissement du dogme « dépendance = abstinence », qui évolue vers une réduction de la consommation. « Cette évolution devrait permettre au patient de mieux adhérer à l’objectif d’évolution de sa consommation et d’avancer plus efficacement vers cet objectif, remarque le Pr F. Paille, et pourrait peut-être permettre d’accepter ultérieurement l’idée de l’abstinence ou, éventuellement, de parvenir à un contrôle de la consommation en cas de faible dépendance. »
L’accompagnement psychosocial est la base de la prise en charge qui peut être complétée utilement par la prise de médicaments aidant à lutter contre le craving (besoin irrépressible de consommer d’alcool). Après les premiers médicaments commercialisés (acamprosate, naltrexone) pour aider à maintenir une abstinence, deux nouveaux médicaments s’inscrivent en complément de l’accompagnement psychosocial, soit dans un objectif de réduction de consommation (nalméfène, baclofène), soit dans un objectif d’abstinence (baclofène).
Le nalméfène a l’AMM en première intention pour la réduction de la consommation chez le patient alcoolodépendant. Cet antagoniste des opiacés peut entraîner des effets indésirables à l’initiation du traitement, essentiellement digestifs (nausées, vomissements) qui cessent rapidement au bout de quelques jours. Il faut en prévenir le patient pour éviter qu’il n’arrête le traitement et fixer un rendez-vous une semaine après l’initiation du traitement afin de vérifier la tolérance et l’observance, assurer le suivi psychosocial, puis par la suite un suivi mensuel régulier.
Le baclofène n’a pas encore d’AMM dans cette indication, mais peut être prescrit dans le cadre d’une RTU (recommandation temporaire d’utilisation) pour diminuer la consommation ou l’arrêter. Sa prescription nécessite d’inscrire le patient sur le site de la RTU (www.rtubaclofene.org/#). L’objectif thérapeutique est d’augmenter très progressivement les doses jusqu’à la dose minimale efficace et prévenir notamment le patient du risque de somnolence. Il est donc nécessaire de prévoir si besoin un arrêt de travail et pas de conduite automobile, jusqu’à l’atteinte de l’objectif de consommation.
Chef du service d’addictologie du CHU de Nancy, président du Collège universitaire national des enseignants d’addictologie.
(2) Pr Paolo Di Patrizio
Médecin généraliste addictologue et praticien consultant à la Maison des adolescents à Nancy
* Réunion « Rendez-vous du Quotidien » sur « Dépendance à l’alcool : le médecin généraliste au cœur de l’action », organisée à Nancy avec le soutien institutionnel des laboratoires Lundbeck
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