La ministre de la Santé a tranché. Au même titre que les spécialistes en addictologie, en alcoologie, des médecins des CSAPA et des médecins des consultations d’addictologie hospitalières, les médecins généralistes ont accès à la primoprescription du nalmefène. La décision, déterminante en santé publique, a été prise malgré la Haute Autorité de santé (HAS) qui s’était prononcée contre en décembre 2013 avançant « la nécessité de l’accompagnement psychosocial qui ne sera pas réalisable en pratique de ville par les médecins généralistes ». L’avis de l’autorité de santé est en effet loin d’être partagé de tous. Le Pr Henri-Jean Aubin, président de la société française d’Alcoologie et addictologue à l’hôpital Paul Brousse de Villejuif : « Le médecin généraliste a entièrement sa place. Le suivi psychosocial est tout à fait faisable en médecine de ville. Ce n’est ni compliqué ni très long, cela demande avant tout de la conviction. Et alors que moins de 10 % des sujets alcooliques sont traités, la situation de l’alcoolisme en France ne pourra s’améliorer que si l’ensemble des acteurs de santé sont invités à participer ».
Thérapies cognitivo-comportementales
Les approches analytiques ont été progressivement abandonnées dans l’alcoolisme ces dernières années au profit des thérapies cognitivo-comportementales (TCC). « Le fait de comprendre l’origine des troubles reste toujours très intéressant dans certaines pathologies, par exemple les phobies ou l’anxiété. Mais dans l’alcoolisme, même si des difficultés, des traumatismes ou d’autres facteurs extérieurs peuvent avoir concouru à l’émergence de la conduite addictive, il est bien établi maintenant que la maladie s’autonomise rapidement. Mieux vaut une approche pragmatique centrée sur la résolution des problèmes », explique le spécialiste. Les modalités des séances des TCC, qui se veulent efficaces, structurées et plutôt courtes, sont tout à fait compatibles avec les contraintes d’exercice en médecine générale. Certes, en cas de co-morbidités psychiatriques anxio-dépressives, les choses peuvent être plus compliquées. « Il faut se rappeler que les symptômes dépressifs sont nourris par l’alcool. Avec la diminution de la consommation, la dépression s’améliore et peut disparaître complètement. Le médecin généraliste peut gérer beaucoup de situations, tout dépend de ce qu’il se sent en mesure de faire », souligne le Pr Aubin.
Suivre la préférence du patient
Entre abstinence et réduction des risques, comment choisir la stratégie qui marchera le mieux pour un patient ? « Il faut suivre la préférence du patient et écouter ce qu’il est prêt à faire dans l’immédiat. Pour beaucoup de sujets alcooliques, l’abstinence demande des efforts trop importants et les met trop en difficulté. Pour d’autres, c’est parfois plus simple de s’abstenir que de réduire la consommation ». La réduction des risques peut s’avérer suffisante dans de nombreuses situations. « Avec l’aide du traitement, le patient peut arriver à contrôler sa consommation et boire de façon raisonnable et acceptable ». Quant à un éventuel profil de patients meilleurs répondeurs, les études réalisées n’ont pas fait ressortir, pour l’instant, d’éléments significatifs qui permettent d’orienter la prescription.
Monitoring de la consommation
La clef de voûte du suivi psychosocial repose sur le monitoring de la consommation. « Il s’agit en pratique de regarder avec le patient le carnet rempli depuis la fois précédente. C’est commenter avec lui ce qu’il a bu, voir s’il a bien pris le comprimé avant, comprendre ce qui s’est passé en cas de non prise médicamenteuse, se demander ce qui pourrait améliorer la situation et enfin fixer les nouveaux objectifs en terme de verres consommés. Les alcoologues ne font rien de plus que çà, mais il est extrêmement important de le faire avec conviction ». L’observance est très importante pour le succès du traitement, le patient doit être persuadé de l’intérêt de remplir le carnet, de prendre le traitement et de venir régulièrement en consultation.
Apprendre à évaluer la consommation
Une partie de l’accompagnement consiste à apprendre à évaluer la consommation d’alcool, ce qui n’est pas si évident. « Saviez-vous par exemple que les grosses cannettes de bière de 50 cm3 à 8° sont l’équivalent de 4 verres d’alcool ? » Le nalméfène doit être pris chaque jour où le patient pense boire, « ce n’est pas forcément tous les jours, même au début. Si le patient s’alcoolise 4 fois par semaine avec 10-11 verres à chaque fois, il ne prendra le médicament que ces quatre jours ». Le nalméfène est indiqué chez des sujets alcooliques à risque élevé selon le seuil de l’OMS, qui est défini par une consommation› 6 verres/jour pour les hommes et› 4 verres pour les femmes. « Pour savoir si le patient est éligible au traitement, la consommation journalière est calculée avec la moyenne sur 1 à 2 semaines ».
Apprendre à anticiper.
Ne pas se faire prendre par surprise. « On peut conseiller à certains patients d’avoir toujours un médicament avec eux. Et bien insister sur le fait de prendre le comprimé même si la consommation a déjà commencé ». Le traitement n’est pas forcément à vie. « Si le patient arrive à contrôler sa consommation avec des quantités raisonnables, des moments de boire appropriés et des habitudes de vie apaisées, il est possible d’envisager de se passer du médicament ». Le traitement est systématiquement réévalué à 6 mois et, même si les études ont montré un bénéfice à le maintenir au moins 1 an, si le patient ne ressent plus le besoin de le prendre que quelques jours par mois, un arrêt peut être envisagé.
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