La Haute Autorité de santé (HAS) a publié les toutes premières recommandations détaillées sur la prescription et la consommation d’opioïdes. En 2015, près de 10 millions de Français, soit 17,1 % de la population, ont eu au moins une prescription d'antalgiques opioïdes. Bien que la France ne connaisse pas la crise sanitaire induite par la surconsommation de ces antalgiques qui ravage les États-Unis, ce texte reste tout de même très attendu.
« Notre chance, c'est que nous devons prévenir et non pas guérir », explique au « Quotidien » le Pr Nicolas Authier, chef du service de pharmacologie et médecine de la douleur au CHU de Clermont-Ferrand, et président du groupe de travail. « Ces recommandations visent à maintenir et renforcer les bonnes habitudes de prescription, poursuit-il. Il faut rester vigilant : nous avons mené plusieurs études qui montrent que les pratiques restent sous-optimales, y compris dans le traitement des douleurs chroniques du cancer », seule indication dans laquelle les antalgiques opioïdes sont recommandés en première intention. Selon une revue de la littérature réalisée par les chercheurs du centre de médecine palliative du CHU de Clermont-Ferrand, la prévalence du trouble de l'usage d'opioïde dans le monde serait de 8 % parmi les patients traités pour des douleurs cancéreuses.
Les recommandations sont accompagnées de fiches mémo traitant des différentes situations dans lesquelles les opioïdes sont indiqués. Les situations sont au nombre de quatre : traitement de la douleur chronique non cancéreuse, de la douleur aiguë, de celle liée au cancer et le cas de la femme enceinte et allaitante. D'autres fiches sont consacrées au risque de mésusage, aux principes généraux des médicaments opioïdes, à la prévention du trouble de l'usage (hors contexte de traitement de la douleur) et des surdoses, au diagnostic et au traitement du trouble de l'usage.
Dans chaque situation, le cas particulier des patients sous traitement de substitution aux opiacés (TSO) est envisagé. Il est alors préconisé de l’arrêter si c’est de la buprénorphine, ou de le maintenir si c’est de la méthadone.
Savoir dire « stop »
Les recommandations mettent l'accent sur la nécessité d'éviter la banalisation du recours aux opioïdes, et remettent notamment en question le faux sentiment de sécurité procuré par le recours aux opioïdes dit « faibles ». Le Pr Authier insiste sur ce point : « la distinction entre opioïdes forts et faibles correspond à celle entre les paliers 2 et 3 de l'OMS, rappelle-t-il. Cette échelle n'est adaptée qu'au contexte des douleurs nociceptives lors de cancers et n'a pas vocation à être généralisée à toutes les formes de douleurs. Que les opioïdes soient forts ou faibles, les risques de mésusage et d'usage problématique existent, et il vaut parfois mieux prescrire une faible dose d'un opioïde fort qu'une forte dose d'un opioïde faible ».
Autre point pratique : savoir fixer des objectifs thérapeutiques de diminution douloureuse, d'amélioration fonctionnelle ou de la qualité de vie. Ces objectifs doivent être réalistes et ne pas faire croire que l'ensemble des douleurs disparaîtront grâce au traitement.
« Il faut savoir arrêter un traitement, et il faut savoir expliquer pourquoi on arrête un traitement », ajoute le Pr Authier. La prescription d’opioïdes, quand elle est nécessaire, doit faire l'objet d'une réévaluation biopsychosociale régulière. La HAS préconise d’ajuster la posologie et de surveiller l’apparition d’effets indésirables. Au-delà de six mois de traitement continu, il est proposé de réduire progressivement les doses, voire d'arrêter le traitement, dans le but de vérifier s'il est toujours justifié.
Une organisation à revoir
Pour le Pr Authier, le respect de ces recommandations se fera au prix d'une nouvelle organisation des soins. « Il faut proposer aux patients des approches non pharmacologiques incluant des psychothérapies, de l’activité physique mais aussi différentes techniques de neurostimulation notamment dans les douleurs neuropathiques », liste-t-il.
Les centres antidouleur rassemblent les professionnels pour accompagner ce genre de démarche, mais ils ne sont pas assez nombreux. Il faudrait donc, selon le Pr Authier, que la médecine de premier recours s'empare de la question.
« Il faut promouvoir le rôle des médecins, des infirmiers libéraux et autres professionnels de santé en première ligne, poursuit-il. Avec la mise en place de nouvelles structures comme les communautés professionnelles territoriales de santé, on peut espérer que les patients puissent bénéficier plus précocement, plus facilement et plus près de chez eux d'une approche pluridisciplinaire. »
Prudence dans les douleurs hors cancer
Dans les douleurs non cancéreuses, les antalgiques opioïdes ne doivent être prescrits qu’en dernier recours. Ils peuvent être envisagés dans les lombalgies et lomboradiculalgies, l’arthrose ou les douleurs neuropathiques mais ne doivent pas être prescrits pour d’autres douleurs musculosquelettiques et des douleurs pelviennes chroniques.
De même, il n’est pas recommandé de les utiliser dans le traitement des migraines (voir encadré) ou des douleurs nociplastiques. Certains antalgiques comme le fentanyl transmuqueux sont déconseillés. D'autres comme le fentanyl transdermique ne sont pas adaptés.
Chez les femmes enceintes, il est recommandé de faire preuve de prudence, en particulier si la grossesse est proche du terme, en raison de l'impact de la dépression respiratoire maternelle et du risque de syndrome de sevrage fœtal. « Il est préférable d'utiliser la morphine quel que soit le terme de la grossesse », indiquent les auteurs. Chez les femmes allaitantes, un traitement par tramadol ou par codéine est envisageable, à condition qu'il soit bref, et à la posologie la plus faible possible. Un traitement par codéine est à proscrire lors des deux premières semaines post-partum, quand les effets indésirables sont les plus fréquents.
Quant aux antidotes, les auteurs se positionnent en faveur d'un accès élargi à la naloxone : « Notre recommandation forte est qu'elle puisse être disponible sans ordonnance », précise le Pr Authier. Par ailleurs, deux formulations de buprénorphine sont actuellement disponibles en France : l'une injectable (Prenoxad, Ethypharm) et l'autre nébulisable (Nyxoid, Mundipharma). Seul le Prenoxad est aujourd'hui disponible sans ordonnance.
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