LE QUOTIDIEN : La Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) a organisé une table ronde au sein du ministère des Solidarités et de la Santé à l’occasion de la journée mondiale de la douleur le 18 octobre. Quel en était le but ?
Pr VALERIA MARTINEZ : L’idée est d’envoyer un message à nos politiques : il faut prendre en compte la douleur dans un plan pour 2022. Après plusieurs années d’échanges avec les ministères, il est temps de passer aux actes et nous voulons aujourd’hui un engagement clair du gouvernement.
Cette table ronde a réuni les sociétés savantes, les représentants des structures douleur, les professionnels de santé, les différents intervenants au quotidien : psychologues, infirmiers, enseignants, chercheurs. Tous partagent le même constat : nous sommes à un tournant de la prise en charge de la douleur en France. Il va donc falloir agir vite.
Il y a urgence à revoir les stratégies de prise en charge de la douleur, en ville comme à l’hôpital. Il y a urgence à revoir la formation en médecine de la douleur pour les médecins. Il y a urgence à restructurer le parcours de soins et revoir la prise en charge des publics vulnérables. Nous sommes inquiets pour la capacité de notre modèle à prendre en charge un nombre toujours plus important de patients.
Pourtant, la France a été pionnière dans la lutte contre la douleur…
Il y a eu trois plans successifs d’action politique autour de la douleur qui ont abouti à des avancées concrètes. D’abord, l’installation de la douleur dans le monde hospitalier, puis le maillage territorial de structures douleur (245 en France, dont un tiers de consultations et un tiers de centres dédiés). Ce maillage est exceptionnel et unique en Europe. Il est original, car chacune de ses structures associe une pluri-
disciplinarité (au moins un médecin, un psychologue et un infirmier), et permet de disposer de structures au plus près de la population française.
À quoi attribuer alors le problème actuel ?
Actuellement, ce maillage est compromis pour plusieurs raisons. Il n’y a plus de plan douleur depuis plus de dix ans. Et donc cette dynamique qui s’était installée autour de la douleur commence à s’essouffler car elle n’est plus portée politiquement.
De plus, il existe un vieillissement des médecins spécialisés dans la douleur. Une enquête que nous avons réalisée montre que 25 % des médecins qui travaillent dans les structures douleur vont partir à la retraite dans les cinq ans à venir. Donc 30 % de ces structures pourraient disparaître dans les prochaines années par manque de moyens humains et financiers. Elles sont financées par les missions d’intérêt général (MIG) qui sont remises en cause pour chaque structure en fonction du bilan d’activité. Il va donc falloir repenser le fonctionnement du système de prise en charge de la douleur.
Quels sont les grands axes de votre réflexion ?
Améliorer le parcours de soins du patient douloureux chronique, optimiser la collaboration entre la ville et l’hôpital, améliorer la formation en médecine de la douleur : tels sont les trois axes prioritaires. La SFETD a fait 22 propositions d’amélioration de la prise en charge de la douleur. Il faudrait inscrire la douleur de façon transversale dans tous les chantiers de santé.
Il est important de repenser la télémédecine pour qu’elle soit adaptée à l’exercice. Et la consultation de ce type de patients en ville, longue et complexe, devrait être revalorisée. L’organisation est en effet trop hospitalo-centrée et devrait s’ouvrir à la ville, avec des collaborations beaucoup plus bidirectionnelles.
Il faut donc qu’il y ait des entrées de patients prioritaires à l’hôpital sans les y garder et en pouvant ensuite les retransférer en ville où il doit y avoir une évolutivité de la prise en charge de la douleur et des patients douloureux. Des préconisations de la SFETD et de la Haute Autorité de santé en collaboration avec les représentants des médecins généralistes vont sortir dans les prochains mois pour essayer de mieux organiser ce parcours de soins du patient douloureux chronique. Dans ce cadre, il est question d’augmenter la téléconsultation ainsi que la télé-expertise autour des malades les plus complexes.
Comment envisagez-vous d’améliorer la formation ?
Une réflexion doit être menée sur l’attractivité du médecin de la douleur travaillant en structure. La douleur n’est actuellement pas considérée comme une spécialité. C’est une compétence en plus d’une spécialité… De plus, une réforme des études de santé est en train de modifier les parcours professionnels. Il n’existe pas de diplôme d’études spécialisées (DES) de médecine de la douleur. Le cursus passait par des diplômes d’études spécialisées complémentaires (DESC) douleur-soins palliatifs.
Or, depuis trois ans, ils ont disparu et sont remplacés par des formations spécifiques transversales (FST). Le problème c’est que ces FST sont plus courtes que les DESC (un an au lieu de deux) et il n’existe plus de post-internat ciblé en douleur. Donc les jeunes titulaires du FST douleur n’obtiennent pas de poste ciblé pour devenir « médecin douleur ». Il manque ainsi la création d’un parcours hospitalier visible pour les jeunes qui souhaitent « s’engager en douleur ».
Nous réclamons également que la formation devienne une spécialité obtenue par un DES. La SFETD pense aussi que les médecins devraient pouvoir faire deux spécialités différentes pendant leur carrière. Par exemple, généraliste puis spécialiste douleur, ou anesthésiste et spécialiste douleur…
Enfin, il est nécessaire de former davantage l’ensemble des soignants (aides-soignants, infirmiers) et des aidants au dépistage et à l’évaluation de la douleur chez les personnes âgées, ainsi que les personnes à problèmes psychiatriques. Et d’améliorer la prise en charge de la douleur chez les patients les plus vulnérables (précaires, handicapés, patients en institution), souvent insuffisante.
Quelles spécificités de prise en charge existe-t-il pour la douleur chronique ?
On définit la douleur chronique par une durée de plus de trois mois. Elle a un retentissement important dans tous les aspects de la vie : le sommeil, l’humeur, l’activité professionnelle, la famille, les loisirs. On parle de douleur maladie. Cette prise en charge de la douleur chronique n’est pas faite que de médicaments. Le but est de vivre avec la douleur en la gérant mieux. Ce qui passe par de la formation, de la pédagogie, une meilleure connaissance de ce qui est en jeu, mais aussi par des moyens non médicamenteux : l’accompagnement, la gestion du stress, une activité physique adaptée… La formation comprend donc un enseignement à l’usage de la population : qu’est-ce qu’une douleur chronique et comment y faire face au cours de sa vie ?
La réflexion actuelle autour des opioïdes pousse à renforcer les moyens non médicamenteux de gestion de la douleur et à préciser le rôle des médicaments pour les donner au bon patient, quand ils sont nécessaires, au bon moment, pour une durée correcte. Le patient doit pouvoir se poser la question : « suis-je mieux avec le médicament ou pas ? ».
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