Frédéric Orobon*, docteur en philosophie de l'université Jean-Moulin, Lyon-3, revient sur l'annonce de l'actrice américaine Angelina Jolie dans laquelle elle révélait avoir subi une double mastectomie préventive.
C’EST DANS UN ARTICLE qu’elle a publié le 14 mai dernier dans le « New York Times », que l’actrice américaine Angelina Jolie a révélé avoir subi à sa demande une double mastectomie préventive. Elle explique avoir fait ce choix lorsqu’un test génétique, motivé notamment par le décès de sa mère par cancer de l’ovaire à l’âge de 56 ans, lui a appris qu’elle était porteuse d’une mutation du gène BRCA 1. Ceci l’expose à un risque élevé de développer un cancer du sein. Selon les médecins qui ont assuré le suivi de l’actrice, son risque de développer un cancer du sein était de 87 %, associé à un risque de développer un cancer de l’ovaire de 50 %. C’est donc bien une démarche de réduction d’un risque, et non une quelconque fascination pour le risque zéro, qui a motivé cette décision.
La mastectomie préventive avec, dans son cas, conservation du mamelon et de l’aréole, consiste dans le retrait de la glande mammaire. L’étui cutané du sein est préservé, comme le muscle pectoral et les ganglions lymphatiques. Comme, dans ce mode opératoire, le retrait intégral du tissu mammaire n’est pas possible, un risque résiduel de cancer du sein, inférieur à 5 %, demeure donc. La mastectomie préventive, comme toute opération chirurgicale lourde, n’est pas sans risque ni douleur, mais s’accompagne généralement d’une reconstruction rapide. Enfin, après cette mutilation interne, qui, comme toute perte brutale, n’est pas non plus sans souffrance, une absence de sensibilité des seins n’est pas non plus à exclure, ce qui n’est pas sans retentissement possible sur la vie sexuelle.
L’ouverture d’un choix.
Tout en insistant sur le coût de ce dépistage génétique, de l’ordre de 3 000 dollars, ce qui est hors de portée de nombre de femmes, le niveau de revenu étant un déterminant de santé majeur, Angelina Jolie veut encourager les femmes exposées à un risque héréditaire de cancer du sein, à s’informer en vue de pouvoir décider pour elles-mêmes. L’enjeu est donc celui d’une réduction du risque par l’ouverture d’un choix rendu possible par de nouvelles explorations. Il s’agit donc de médecine prédictive. Dans ce cas, ce sont des organes sains qui font l’objet d’une opération chirurgicale lourde et irréversible pour prévenir une terrible maladie qui peut aussi ne pas se déclarer. Néanmoins c’est ce risque de 87 % qu’Angelina Jolie juge d’autant plus insupportable qu’elle souhaite accompagner ses enfants le plus longtemps possible. Son opération lui permet alors de revenir à un risque résiduel qu’elle jugera « acceptable », parce qu’elle devra s’en accommoder, comme elle devra aussi sans doute s’inquiéter de savoir si ses trois enfants biologiques ont ou non reçu cette mutation génétique.
Il s’agit là d’une démarche individuelle et non d’une obligation. Il n’y donc pas lieu de soupçonner, à travers ce geste, la crainte d’une quelconque « dictature génétique ». Néanmoins, il faut comprendre que lorsque la technique autorise une nouvelle liberté, en nous permettant de nous dégager, autant que faire se peut, d’une contrainte naturelle, comme en nous donnant la possibilité de l’accepter en connaissance de cause, elle met aussi en évidence qu’il n’est pas facile d’être libre, surtout lorsque la voie dans laquelle on s’engagera est sans retour possible. C’est parce qu’on ne voit pas cette difficulté qu’on assimile de manière illusoire et unilatérale médecine prédictive et contrôle.
* Professeur agrégé de philosophie, IUFM de Bourgogne
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