Une jeune femme de 28 ans, sans antécédent particulier, mère de deux enfants et employée de bureau, est hospitalisée dans le service pour l’exploration de douleur sacrée. La symptomatologie évolue depuis 6 mois avec l’apparition progressive de douleurs lombaires basses, sans facteur déclenchant et d’intensité croissante, mais surtout sacrées d’horaire mécanique, majorées par la position assise prolongée. Il s’y associe une dysurie avec sentiment de vidange incomplète, une hypoesthésie périnéale sans déficit moteur et une constipation. Les douleurs sont très invalidantes et conduisent à un arrêt de travail, ce qui permet une amélioration partielle de la douleur et une régression des troubles vésicosphinctériens.
Des douleurs sacrococcygiennes avec syndrome inflammatoire
À l’examen clinique, la patiente est apyrétique avec un état général conservé. Les douleurs sont sacrococcygiennes et, à un moindre degré, lombaires basses sans irradiation radiculaire. Le reste de l’examen clinique est sans particularité. Il n’y a pas de déficit sensitivomoteur des membres inférieurs, ni d’hypoesthésie en selle.
Les explorations biologiques mettent en évidence un syndrome inflammatoire avec une CRP à 36 mg/l et une hyperleucocytose à polynucléaires. L’examen cytobactériologique des urines est négatif.
Un diagnostic de chordome
Sur le plan morphologique, la radiographie du bassin montre une lésion lytique du sacrum qui, au scanner, a des contours lobulés, et est développée en regard de S3 avec une extension antérieure et un aspect d’ostéolyse médiane (figure 1).

Sur l’IRM, la formation tissulaire sacrée apparaît en hypersignal T2 franc, hyposignal T1 avec un faible rehaussement après injection de gadolinium. Elle s'étend aux foramens de S3, S4 et S5 de manière bilatérale avec extension antérieure dans le mésorectum et intracanalaire modérée (figure 2). Ces aspects sont très évocateurs d’un chordome sacré.

Chirurgie et protonthérapie
Après discussion en RCP, la prise en charge thérapeutique a consisté en une chirurgie d’exérèse en bloc par voie postéromédiane, complétée par des séances de protonthérapie. L’analyse histologique de la pièce d’exérèse et l’étude immunohistochimique ont permis de confirmer le diagnostic (figures 3 et 4).

Présence de cellules « physaliphores » organisées en cordons, séparés par une substance myxoïde, avec cytoplasme abondant éosinophile, vacuoles optiquement vides et noyaux hyperchromatiques.

(a) marquage de la brakyurie, (b) marquage du P53 : facteur de transcription pro apoptotique et (c) marquage du Ki67 : index de prolifération tumorale.
Les suites opératoires ont été favorables. Il existe une légère hypoesthésie au niveau des fesses, pas de déficit moteur, ni troubles génitosphinctérien. Le scanner et l'IRM sacrococcygienne postopératoires ne révèlent pas de reliquat tumoral.
Une tumeur osseuse rare
Les chordomes représentent moins de 1 % des tumeurs osseuses et/ou de la base du crâne et du rachis. L’incidence est d’environ 80 cas/an et la prévalence est de moins d’1 cas sur 100 000. Ils sont plus fréquents chez l’homme (sex-ratio à 2) et entre 50 et 60 ans (rares avant 40 ans) [1,2]. Les lésions se situent le long de la ligne médiane du clivus au coccyx : sacrum (45 %), base du crâne (35 %) et rachis (20 % : cervical et surtout lombaire).
Ils se développent à partir des reliquats embryonnaires de la notochorde, à l’origine de la formation des corps vertébraux, des disques et du système nerveux. Le mécanisme moléculaire n’est pas univoque. Il y a des duplications dans le gène T codant pour le facteur de transcription brachyurie dans 25 % des cas mais aussi des mutations dans les gènes de la voie PI3K ou du gène LYST (3).
Il s’agit de lésions lobulées bien limitées par de fines bandes scléreuses, d’aspect gélatineux et siège de remaniements hémorragiques. Leur croissance est lente, avec destruction locale de l’os et envahissement des parties molles adjacentes. Leur malignité est principalement locale avec un risque élevé de récidive, mais des métastases peuvent exister dans 15 à 35 % des cas (surtout au niveau des os, des ganglions, du foie et des poumons) [1].
Pouvant être tardives, les manifestations cliniques dépendent du siège et de la taille de la lésion. Il peut s'agir de signes neurologiques (céphalées, paralysies des nerfs crâniens, syndrome de la queue-de-cheval…), rachialgies, douleurs pelviennes, radiculalgies, tuméfaction. Le diagnostic est généralement porté par l’imagerie avec des lésions caractéristiques au scanner et surtout à l'IRM. Parfois, en cas de doute, des analyses histologiques avec études immunohistochimiques sur biopsie ou pièce d’exérèse chirurgicale, peuvent être nécessaires.
Les chordomes sont classés en trois types : myxoïde, chondroïde ou dédifférencié.
Une caractérisation immunohistochimique est indispensable : EMA, cytokératine, PS100 et brachyurie. La brachyurie est un marqueur diagnostique essentiel et permet de faire la différence avec des tumeurs ayant un aspect macro et microscopique proches, telles que les chondrosarcomes. La brachyurie n’est pas exprimée dans les formes indifférenciées et peut être négativée par les techniques de décalcification (1).
La prise en charge est chirurgicale et doit être faite par des équipes pluridisciplinaires spécialisées. L’objectif est une exérèse la plus complète possible et en bloc. Celle-ci peut être délabrante et responsable de séquelles majeures, sphinctériennes, motrices qui sont fonction du niveau supérieur de la tumeur. Souvent, un traitement complémentaire par protonthérapie est nécessaire afin de limiter au maximum le risque de récidive.
Un cas clinique original
Sur le plan épidémiologique, le diagnostic de chordome survient dans ce cas chez une jeune femme de 28 ans, ce qui contraste avec les données de la littérature. En effet, de nombreux auteurs ont constaté une nette prédominance masculine, avec un âge moyen au diagnostic de 40-60 ans et surtout fin de la cinquantaine (4).
Ensuite, les présentations clinique et anatomique sont atypiques. En effet, bien que notre patiente ait eu un chordome de siège sacrée, localisation anatomique la plus fréquente impliquant les dernières vertèbres, sa présentation est atypique sur certains points. Dans la majorité des cas de chordomes sacrés, les manifestations neurologiques tardives (dues à la taille conséquente de la tumeur) compliquent le tableau clinique, mais chez notre patiente les quelques troubles sensitifs et vésicosphinctériens ont été régressifs. Ici, la lésion était de taille modérée, développée aux dépens des vertèbres sacrées avec une extension antérieure refoulant le rectum mais, chose rare, une extension intracanalaire était également décrite. À notre connaissance, il n’y a pas de cas décrit de chordome avec extension intra/extra durale ou intramédullaire pouvant remettre en cause le diagnostic. Cependant, de rares cas de chordomes extra-osseux rachidiens purs ont été décrits (5). En 2016, une revue de la littérature a permis de recenser 16 articles contenant 17 cas de chordomes extra-osseux rachidiens de localisation intradurale, intra et extracanalaire ou intracanalaire. Entre 1991 et 2014, l’incidence des chordomes extra-osseux rachidiens a été estimée à moins de 2 % dans un centre spécialisé à Shanghai (seul taux d’incidence connu à ce jour). À chaque fois, ce sont les examens histologiques et immunohistochimiques qui avaient permis de confirmer le diagnostic.
Service de Rhumatologie, Hôpital Lariboisière, Paris
(1) https://www.onco-hdf.fr/.../2019/02/anocef_referentiel_chordome2018, accessible en ligne le 15/12/19.
(2) Walcott BP et al. Chordoma: current concepts, management, and future directions. Lancet Oncol. 2012 Feb;13(2):e69-76
(3) Tarpey, P. S. et al. The driver landscape of sporadic chordoma. Nat. Commun.2017 Oct 12;8(1):890
(4) Lim JBT Sacral chordoma: clinical experience of a series of 11 patients over 18 years. Eur J Orthop Surg Traumatol.2019 Jan;29(1):9-15
(5) Jian Yang et al. Spine extra-osseous chordoma mimicking neurogenic tumors: report of three cases and review of the literatures. World J Surg Oncol. 2016; 14: 206.
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