Depuis quelques années, les anticorps conjugués ouvrent des perspectives encourageantes dans le traitement de divers cancers solides. Ces agents thérapeutiques reposent sur l’association, via une molécule de liaison, d’un anticorps monoclonal spécifiquement dirigé contre un marqueur tumoral d’une part, et d’un produit cytotoxique ou d’un radioligand d’autre part. L’objectif : permettre une délivrance préférentielle du cytotoxique ou du radioligand au niveau des cellules tumorales, et ainsi augmenter son efficacité en réduisant le risque d’effets indésirables généraux.
Premiers succès en deuxième ou troisième ligne du traitement de certains cancers du sein
Si nombre de candidats médicaments de ce type sont dans les tuyaux, certains d’entre eux sont déjà utilisés en routine. Y compris dans certains cancers solides, en particulier du sein. Le trastuzumab-emtansine et le trastuzumab-deruxtecan sont indiqués en deuxième ou troisième ligne de traitement des cancers de sein HER2 positifs. Et le sacituzumab-govitécan est lui aussi autorisé en cas de cancer du sein triple négatif avancé ou métastatique, après échec de deux premières lignes de traitement.
Depuis quelque temps, des anticorps conjugués arrivent aussi dans le traitement du cancer de la vessie diagnostiqué à un stade avancé. Pour rappel, jusqu’à présent, la prise en charge des patients reposait essentiellement sur une chimiothérapie contenant du cisplatine. « On proposait couramment quatre à six cycles, puis une maintenance par immunothérapie, rapporte la Dr Helissey, oncologue médicale à l’hôpital Saint Joseph (Paris). Mais cette prise en charge restait sous optimale. Malgré le traitement, les patients devenaient rapidement symptomatiques : la survie sans progression n’était que de 6 mois, et la survie globale ne dépassait pas 12 mois. »
Si bien que des anticorps conjugués ont été testés dans le cancer de la vessie avancé ou métastatique, d’abord en deuxième ou troisième ligne de traitement. Il y a quelques années, le sacituzumab-govitécan avait donné des résultats préliminaires encourageants après chimiothérapie et traitement par inhibiteur de PD1 ou de PDL1 — des données qui n’avaient toutefois pu être confirmées en phase 3. L’enfortumab védotin en monothérapie avait, lui, démontré ses bénéfices en deuxième à troisième ligne de traitement.
Un anticorps conjugué en première ligne du traitement d’un cancer solide
Et plus récemment, ce type d’agents thérapeutiques a fait ses preuves — toujours dans le traitement du carcinome urothélial avancé ou métastatique — non plus seulement en deuxième ou troisième ligne de prise en charge, mais aussi en première ligne du traitement. Il y a un an environ, l’enfortumab védotin, proposé d’emblée en association à une immunothérapie par pembrolizumab, « avait donné des résultats cliniques et biologiques très positifs dans tous les sous-groupes de patients — quelle que soit leur fonction rénale, leur éligibilité au cisplatine, et qu’ils présentent ou non des métastases viscérales », résume la Dr Helissey. L’étude EV-302 avait trouvé avec cette nouvelle association un quasi doublement de la survie sans progression et de la survie globale par rapport à la chimiothérapie, définissant un nouveau standard de traitement.
Ce printemps, des données présentées à l’Asco ont confirmé l’intérêt de ce nouveau schéma de prise en charge par anticorps conjugué et immunothérapie d’emblée. « Le passage des données cliniques à la vie réelle est encourageant, avec un bénéfice qui se confirme, notamment l’existence de patients longs répondeurs, un profil de tolérance acceptable », indique le Dr Helissey.
Vers une possible désescalade ?
Quelques questions restent en suspens, à commencer par celle de la durée du traitement. Si, pour le moment, la conduite à tenir consiste à maintenir les médicaments jusqu’à progression ou mauvaise tolérance, « pourrait-on arrêter, soit l’anticorps conjugué, soit l’immunothérapie, soit les deux, au bout de six cycles, comme ce que l’on faisait avec la chimiothérapie ? », s’interroge la Dr Helissey. Alors que les tests de suivi d’efficacité des traitements basés sur la détection d’ADN tumoral circulant progressent, une potentielle désescalade pourrait être envisagée, en particulier pour les patients manifestant une réponse complète ou partielle au traitement. Quoi qu’il en soit, dans l’essai EV-302, une médiane de 12 cycles d’enfortumab védotin-pembrolizumab avait été réalisée, contre six cycles dans le groupe chimiothérapie.
Par ailleurs, cette association pourrait aussi ouvrir de nouvelles stratégies péri-opératoires. C’est du moins l’espoir ouvert par des résultats encourageants obtenus au stade métastatique. Reste à confirmer ces données. « Les résultats sont attendus pour l’Esmo ou l’Asco-GU 2026 », prévoit la Dr Helissey.
Entretien avec la Dr Carole Helissey, oncologue médicale à l’hôpital Saint Joseph (Paris)
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