LE QUOTIDIEN – Une discussion est en cours sur le rôle de cellules souches dans le mélanome. Pouvez-vous restituer ce débat ?
Pr VINCENT DESCAMPS – On s’interroge effectivement sur le rôle que pourraient jouer des cellules souches tumorales dans le développement des cancers. Le concept n’est pas spécifique du mélanome. Il prend simplement un relief particulier dans le cas de cette tumeur, très agressive et résistante aux chimio- et radiothérapies.
Le point de départ est une question : les cellules sont-elles homogènes au sein des tumeurs ? Le fait que certaines métastases répondent aux traitements et d’autres non suggère naturellement une certaine hétérogénéité des cellules tumorales.
Les expériences de transplantation de tumeur chez l’animal ont confirmé cette notion : toutes les cellules tumorales n’ont pas la même capacité à induire une nouvelle tumeur. Les premiers résultats indiquaient que la proportion de cellules compétentes pourrait être extrêmement faible. Les choses ont été relativisées par la suite, lorsque des résultats supplémentaires ont montré que cette proportion de cellules compétentes est en fait inversement corrélée avec le degré d’immunodépression des souris. Dans l’ensemble, ces travaux ont néanmoins posé le principe d’une hétérogénéité des tumeurs.
Récemment, l’intérêt pour cette question a été relancé par une publication de l’équipe de Markus Franck, à Boston, montrant qu’une tumeur ne peut être générée chez l’animal qu’à partir des seules cellules tumorales humaines exprimant l’antigène ABCB5 (1). Chez l’homme, donc, les tumeurs associeraient des cellules primitives ABCB5+ et des cellules ayant secondairement perdu l’expression de l’antigène, par exemple par un phénomène épigénétique de type méthylation du gène ou d’autres événements génétiques ou épigénétiques.
Quel intérêt ce concept de cellules souches présente-t-il d’un point de vue thérapeutique ?
L’enjeu est stratégique. Si l’on considère que toutes les cellules tumorales ont la même propension à se multiplier, on doit en effet s’orienter vers des traitements lourds, ciblant l’ensemble de ces cellules indistinctement. Si l’on retient au contraire le concept de cellules souches, on s’orientera, dans la mesure du possible, vers des traitements ciblés comme des biothérapies utilisant des anticorps monoclonaux dirigés contre les molécules associées à ces cellules, ou la vaccination dirigée contre ces antigènes.
C’est d’ailleurs dans le cadre de cette alternative que les discussions sur la proportion des cellules souches dans une tumeur prennent toute son importance : plus cette proportion est faible, plus la stratégie ciblée est a priori justifiée.
En pratique, les premiers candidats à de telles thérapies sont les patients à qui l’on retire une tumeur de mauvais pronostic. On savait qu’en tant que traitement adjuvant, les chimiothérapies lourdes n’apportaient aucun bénéfice (contrairement à ce que l’on observe dans d’autres tumeurs). Aujourd’hui, ces patients peuvent recevoir de l’interféron alfa visant à éliminer de façon non ciblée les cellules résiduelles. Le bénéfice apparaît cependant limité à un faible pourcentage de sujets. L’idée est donc d’utiliser dans ce contexte des thérapies vaccinales ou des biothérapies ciblant ces cellules souches.
Quelles perspectives ces travaux ouvrent-ils en cancérologie ?
Dans le mélanome, les essais de vaccination contre le peptide MAGE sont en cours, après des premiers résultats encourageants. Ces antigènes tumoraux utilisés en vaccination antitumorale correspondent d’ailleurs le plus souvent à des antigènes exprimés à l’état embryonnaire chez l’individu normal, et s’accordent bien avec le concept de cellules souches.
Dans le mélanome, toujours, la caractérisation de l’antigène ABCB5 et la mise à disposition prochaine d’anticorps monoclonaux spécifiques ouvrent la voie vers une nouvelle option thérapeutique. Dans les autres cancers, enfin, les discussions sur le rôle de cellules souches sont fondamentalement les mêmes que dans le mélanome. Mais aucune thérapie ciblée sur ces cellules n’a encore été concrètement proposée.
*Hôpital Bichat, Paris.
(1) Schatton T, et coll. Identification of cells intiating human melanomas. Nature 2008;451(7176):345-9.
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