Alors que les dernières discussions sont en cours avec l’Agence nationale de la recherche pour finaliser son institut hospitalo-universitaire (IHU) Prism, Gustave-Roussy défend une nouvelle approche de la recherche et du soin du cancer.
« La vision sur laquelle repose l'IHU est en rupture avec l'idée héritée de la chirurgie qui veut classer les cancers en fonction de leur organe d'origine, explique le Pr Fabrice André, directeur de l’IHU Prism. Notre mission principale sera d’établir les preuves biologiques et cliniques pour mettre en place une classification des cancers basée sur les mécanismes biologiques. » Le 1er février, les chercheurs de Gustave-Roussy ont ainsi publié un article sur leur changement de paradigme dans la revue Nature : il y est expliqué comment la classification TNM montre ses limites pour les cancers métastatiques et l’accès des patients à certains traitements innovants.
Un fonctionnement interne à revoir
Le mode de fonctionnement de l’institut est, encore actuellement, très imprégné par la vision classique de l'oncologie, avec des comités spécialisés dans chaque organe. « Les deux modèles coexistent, puisque la prise en charge est à la fois basée sur la localisation et la cible thérapeutique, mais il est probable qu'à l'avenir, l'ancienne vision s'efface progressivement », prédit le Pr Fabrice André. Un comité « agnostique » va être créé, dans lequel seront discutées les prises en charge de pathologies ayant une altération moléculaire commune. « Cela impose qu'on ait les moyens d'identifier ces altérations via des biopsies liquides, prévient l’oncologue. C'est la raison pour laquelle nous avons investi dans une équipe de médecine de précision et mis en place une réunion de concertation pluridisciplinaire moléculaire. Il faut que ce soit très structuré, car nous devons y rassembler beaucoup d'expertise. »
Le séquençage de l’ADN humain a ouvert, dès 2010, l’aire de la médecine de précision
Pr Fabrice Barlesi, directeur général de Gustave-Roussy
Historiquement, cette nouvelle vision du cancer trouve ses origines en 2003 avec le projet international sur le génome humain (Human Genome Project). « Le séquençage de l'ADN humain nous a permis de disposer d'un point de repère que nous avons pu comparer aux génomes des cellules cancéreuses, se souvient le Pr Fabrice Barlesi, directeur général de Gustave-Roussy. Cela a ouvert, dès 2010, l'aire de la médecine de précision avec laquelle nous avons déterminé des cibles et mis au point des thérapies qui ont augmenté la survie des patients. À l’avenir, la prise en charge sera la même pour plusieurs cancers qui partageront les mêmes cibles. »
Pour les chercheurs de Gustave-Roussy, la vision actuellement majoritaire du cancer entraîne bien des retards. « Dès 2012, on savait, avec la première étude sur le nivolumab dans le mélanome, que le facteur principal de sensibilité était l'expression de PDL1, se souvient le Pr Barlesi. Mais il a fallu plus de dix ans que pour que l'on envisage de donner ces molécules à des patients atteintes de cancer du col de l'utérus exprimant PDL1. Si on avait raisonné en biologiste, on aurait tout de suite proposé des études de phase 3 dans d'autres localisations cancéreuses. »
Des investissements technologiques
Pour aller dans cette nouvelle direction, Gustave-Roussy mise sur l’intelligence artificielle (IA) et la constitution d’une immense base de données, qui compte déjà 100 000 malades « profondément caractérisés », c’est-à-dire pour lesquels l’institut dispose de données cliniques, historiques et génétiques, ainsi que leur réponse aux traitements. Les chercheurs ambitionnent 400 000 profils, dont les données seront exploitées dans le cadre de partenariats avec CentraleSupélec à Paris Saclay et avec des start-up, comme TheraPanacea ou Owkin.
C’est avec Owkin que Gustave-Roussy va travailler sur un programme de pathologie numérique, appelé Portrait. Gustave-Roussy est également impliqué, avec six autres IHU, le CHU de Nantes et l’Inria dans le programme Meditwin, visant à proposer des jumeaux virtuels personnalisés des organes, du métabolisme et des tumeurs cancéreuses avec la plateforme technologique de Dassault Systèmes. Les chercheurs de l’IGR développent également des technologies pour séquencer le génome de cellules tumorales individuelles et les coupler avec leur position spatiale. Tout cela dans le but de modéliser encore plus finement le comportement des tumeurs confrontées à une nouvelle stratégie thérapeutique.
À plus long terme, se pose la question du design des essais cliniques. « Quelques essais recrutent déjà des patients sur la base des processus biologiques à l'origine du cancer », explique le Pr Barlesi, citant des essais fondés sur le statut PDL1, une forte charge mutationnelle ou encore la mutation rare RET. « À l’avenir, il va falloir convaincre les agences que cette approche est pertinente, sûre, et que nous sommes capables d'en interpréter les résultats », conclut-il.
2024, une année d’investissements
Cette année, Gustave-Roussy construira un bâtiment de 32 000 m2 au sein du nouveau Paris Saclay Cancer Cluster (PSCC). À terme, ce bâtiment accueillera 12 plateformes de haute technologie et permettra de doubler le nombre d’équipes de recherche. Le chantier démarrera en 2024, pour une livraison prévue fin 2026, et nécessitera 150 millions d'euros. Les bâtiments plus anciens sont en cours de réaménagement et de rééquipement, à raison « d’environ 10 millions d’euros par étage », résume le Pr Fabrice Barlesi, directeur général de l’institut.
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?