Un entretien avec le Pr Agnès Buzyn*
LE QUOTIDIEN - Cela fait un peu plus d’un an que vous êtes arrivée à la présidence de l’Institut national du cancer (INCa). Quel bilan faites-vous des douze mois qui viennent de s’écouler ?
PrØAGNÈS BUZYN - Cette année, très riche, m’a confortée dans la conviction que l’INCa a vraiment vocation à être la maison commune de tous les acteurs de la lutte contre le cancer : des professionnels, bien sûr, mais aussi des malades, via leurs associations, et du grand public. Nous sommes tous engagés vers un objectif majeur : l’amélioration de la prévention et de la qualité des soins, afin de voir diminuer le nombre des cancers dans notre pays et d’améliorer la survie des patients.
Durant l’année qui vient de s’écouler, nous avons travaillé à la mise en place d’un projet d’établissement pour les quatre ans à venir. Ce projet d’établissement porte sur le positionnement et les missions de l’INCa. Grâce à une vision intégrée de l’ensemble des dimensions – sanitaires, scientifiques, sociales, économiques, sociétales… – et de l’ensemble des moyens d’action – recherche, prévention, dépistage, soins – liés aux pathologies cancéreuses, l’INCa joue en effet un rôle d’accélérateur de progrès, au service des besoins des différents publics concernés : patients, usagers du système de santé, professionnels, spécialistes et experts, politiques, etc. Dans ce cadre, l’une des missions de l’INCa sera de mener à bien le deuxième plan Cancer (2009-2013), dont nous assurons le pilotage d’environ 50 % des actions, et d’engager la réflexion sur le troisième plan Cancer, annoncé par le président de la République. Une priorité sera de faire émerger l’innovation au bénéfice des patients avec le souci constant d’assurer un égal accès à des soins de qualité sur l’ensemble du territoire. Dans la droite ligne de la loi sur le médicament, nous avons aussi le devoir d’afficher une rigueur absolue et une transparence complète dans toutes nos productions d’expertise. Enfin, nous souhaitons poursuivre la production de recommandations à destination des professionnels de santé avec le souci d’être au plus près des besoins et des pratiques.
Quelles mesures l’INCa va-t-il prendre pour favoriser l’accès aux médicaments innovants ?
Il y a deux ans, nous avons mis en place des centres labellisés INCa de phase précoce (CLIP2) pour permettre un accès aux molécules innovantes en développement. Ces CLIP2 ont connu un très grand succès : ils sont reconnus par l’industrie pharmaceutique mondiale et permettent aux patients français d’accéder aux molécules innovantes quasiment en même temps que les patients américains. Nous avons aussi mis en place des plates-formes de biologie moléculaire sur tout le territoire, ce qui permet aux malades d’accéder aux thérapies ciblées en fonction des caractéristiques génétiques de leur tumeur. L’INCa met également à la disposition, sur son site, un registre national des essais cliniques accessible à tous les patients. Là encore, c’est une mesure qui participe pleinement à l’égalité d’accès aux soins en France. Enfin, je sais qu’il existe une grande inquiétude chez les cancérologues sur leur capacité, à l’avenir, de continuer à prescrire des molécules innovantes dans un cadre hors AMM. La loi sur le médicament, on le sait, va quelque peu modifier les conditions d’accès aux ATU et aux molécules hors AMM. Mais nous sommes en train de travailler sur ce dossier, en lien avec l’ANSM, pour maintenir un accès satisfaisant aux molécules innovantes, avec le souci d’assurer une sécurité maximale pour les malades.
Un autre sujet d’inquiétude dans le monde de la cancérologie concerne le problème de la démographie médicale…
C’est un dossier que, là encore, nous suivons de très près. Avec l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS), nous réalisons chaque année une enquête sur la démographie des cancérologues, leur mode d’exercice, l’installation des jeunes… Nous avons aussi beaucoup travaillé avec les tutelles pour arriver à dégager des postes de cancérologie, que nous avons nous-mêmes en partie financés. Nous accompagnons aussi la Haute Autorité de santé (HAS) dans la démarche d’évaluation des protocoles de coopération interprofessionnelle. C’est vraiment une voie à explorer pour soulager un certain nombre de spécialités et permettre aux professionnels d’optimiser le temps médical.
Quel bilan peut-on tirer de la mise en place des plates-formes de biologie moléculaire ?
C’est vraiment une grande réussite, qui participe pleinement à cet objectif d’assurer à tous les patients un égal accès à des soins de qualité. Aujourd’hui, tous les malades du cancer, en France, éligibles à une thérapeutique ciblée peuvent accéder gratuitement à ces plates-formes. L’INCa finance tous les tests de biologie moléculaire jusqu’à ce qu’ils soient pris en charge par la tarification. Et chaque année, nous révisons ces tests en fonction des nouveaux médicaments qui arrivent sur le marché. Ces plates-formes sont une avancée majeure dans l’accès à l’innovation pour tous les patients.
Où en est l’expérimentation sur le parcours de soins avec les infirmières de coordination ?
Pour l’instant, environ 9 000 patients ont pu en bénéficier et les premières évaluations montrent qu’ils ont retiré un très grand bénéfice de cet accompagnement. Les infirmières de coordination jouent un rôle central dans ce parcours personnalisé de soins : leur mission est d’évaluer, au moment où un patient doit être traité, tous ses besoins de soins de support ou d’accompagnement social et de faire le lien avec la période de l’après-traitement, notamment en relation avec le médecin traitant… Cet accompagnement apporte un réel bénéfice en termes de qualité de vie des malades. C’est aussi une façon de soulager les cancérologues d’un grand nombre d’actions d’orientation et d’organisation du parcours qui sont très chronophages. Nous allons bien sûr faire une évaluation complète de ce dispositif qui aura vocation à se déployer sur l’ensemble du territoire.
Quand sera mise en route l’élaboration du troisième plan Cancer ?
Très prochainement devraient se tenir les premières réunions pour formaliser la méthodologie qui sera choisie pour ce troisième plan Cancer annoncé par le président de la République. Avant de lancer ce nouveau chantier, il sera évidemment nécessaire de prendre en compte les observations du Haut Conseil de santé publique, qui a été chargé d’évaluer à mi-parcours le plan Cancer 2. L’INCa n’est bien sûr pas le seul acteur impliqué dans l’élaboration du troisième plan Cancer, mais nous serons clairement au rendez-vous.
* Présidente de l’Institut national du cancer.
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