LE QUOTIDIEN – Quels sont les facteurs qui guident la prise en charge thérapeutique des cancers HER2- RH+ ou RH- (1) ?
Dr HÉLÈNE SIMON – Même si la maladie métastatique est toujours incurable, il est possible aujourd’hui de parler de chronicisation de la maladie grâce aux progrès thérapeutiques et à l’alternance des traitements utilisés. Face à cette maladie, l’oncologue dispose de traitements spécifiques, avec des profils de toxicité très variables allant de l’hormonothérapie souvent bien tolérée à des chimiothérapies intraveineuses associées ou pas à un anti-angiogénique ou anti-VEGF, en passant par la chimiothérapie orale. Le choix des traitements est guidé par deux types de facteurs :
- d’une part, l’agressivité de la maladie, relativement bien évaluée par la durée de l’intervalle libre entre la prise en charge initiale et la rechute métastatique, le sous-type moléculaire et la distribution métastatique ;
- d’autre part les craintes et les attentes de la patiente.
Nous nous focaliserons sur les tumeurs HER2- métastatiques compte tenu des implications thérapeutiques particulières liées à l’amplification de HER2 grâce, notamment, au développement de l’anticorps monoclonal anti-HER2, le trastuzumab (Herceptin), qui a transformé le pronostic de ces tumeurs (15 % à 20 % environ des tumeurs du sein).
Quels sont ces choix thérapeutiques ?
La principale question qui se pose au cancérologue est celle du choix du traitement spécifique,hormonothérapie et/ou chimiothérapie et de l’association potentielle à une thérapie ciblée.
Pour les tumeurs RH+, il est admis que le traitement de première intention repose sur l’hormonothérapie sauf en cas de maladie rapidement évolutive, agressive, nécessitant une réponse tumorale rapide. Chez les patientes ménopausées, les inhibiteurs de l’aromatase sont en général prescrits. Les résultats de l’étude BOLERO-2 (Breast Cancer Trial of Oral Everolimus-2 ) publiés récemment (2) ont montré qu’il est possible de retarder l’apparition de résistance à l’hormonothérapie chez des patientes lourdement prétraitées (plus de la moitié d’entre elles avaient reçu au moins 3 lignes de traitement).
En première ligne métastatique, le bévacizumab peut être prescrit à toutes les patientes HER2- quel que soit leur statut en récepteur hormonal (RH- ou RH+). Ces derniers mois, cet anti-VEGF a été l’objet de discussions quant à son rapport bénéfice/risque. Deux attitudes différentes ont été prises de part et d’autre de l’Atlantique : sans réels nouveaux arguments scientifiques, la FDA a remis en cause le rapport bénéfice/risque aux États-Unis sur des considérations, à mon sens, purement économiques.
L’essai E2100 pivot de Miller (3) n’avait pas été reproduit jusqu’à l’essai TURANDOT (4) présenté au congrès de l’ESMO (European Society of Clinical Oncology) 2012 comparant le bévacizumab + paclitaxel versus bévacizumab + capécitabine. L’intérêt de cet essai était de répondre d’une façon très pragmatique sur le choix thérapeutique possible qui se ferait, non seulement sur l’efficacité mais également sur le profil de tolérance de chacun des deux schémas.
Les données de tolérance ont montré un profil de toxicité attendu et différent entre les deux bras, lié aux toxicités inhérentes aux deux chimiothérapies utilisées. Les effets indésirables spécifiques du bévacizumab, en particulier l’hypertension artérielle, étaient conformes aux observations de la pratique quotidienne. De plus, cet essai confirme les données d’efficacité décrites dans l’essai pivot E2100 qui avait conduit à l’autorisation de mise sur le marché de l’association bévacizumab + paclitaxel, notamment en ce qui concerne les données de SSP (11 mois). TURANDOT (4) confirme également les données de SSP (8,1 mois) de l’association bévacizumab + capécitabine comparables à celle de l’étude pivot RIBBON-1 (5).
En ce qui concerne l’objectif principal de non-infériorité en termes de survie globale, il faut attendre les résultats plus matures en 2014.
Cette étude montre que les 2 schémas thérapeutiques sont efficaces et bien tolérés, ce qui nous conforte dans notre choix de préconiser le bévacizumab en première ligne métastatique, en association avec le paclitaxel hebdomadaire (6). Le traitement avec la capécitabine est également possible, le choix se fera selon le profil de tolérance attendu.
Les anti-angiogéniques ont un profil de tolérance spécifique qu’il faut apprendre à connaître et à maîtriser. Quels sont les conseils que vous donnez à vos patientes et à leur médecin traitant ?
La consultation de la première prescription est longue ; c’est une consultation de médecine interne visant à déterminer s’il existe chez la patiente concernée une contre-indication potentielle à l’anti-VEGF. Il faut pendant ce colloque singulier donner des messages simples. L’éducation des patientes et l’information du médecin traitant sont déterminantes pour cette prise en charge. Je remets donc à mes patientes une lettre dans laquelle j’explique le mode d’action du traitement anti-angiogénique, sa pertinence dans le cadre de leur maladie. Je décris dans ce courrier les effets secondaires les plus fréquents et en particulier l’apparition ou l’aggravation d’une hypertension artérielle imposant une surveillance attentive et une adaptation ou une modification d’un traitement anti-hypertenseur. Un IEC ou un sartan est prescrit en cas de protéinurie associée. À ce titre, un bilan cardiovasculaire est prescrit avant traitement pour éliminer toute contre-indication cardiovasculaire à l’Avastin et un suivi rapproché tensionnel par le médecin traitant est instauré en ambulatoire en préconisant la règle des 3 mesures (3 mesures de suite matin midi et soir, 3 jours de suite). J’explique également aux patientes que les traitements anti-angiogéniques peuvent être responsables de retards de cicatrisation : il ne faut donc pas programmer de chirurgie même mineure (extractions dentaires, endoscopie avec ablation de polypes etc.) sans informer l’oncologue et le médecin traitant. La toxicité muqueuse de la chimiothérapie associée à l’anti-VEGF peut être majorée et entraîner des saignements le plus souvent mineures (épistaxis, saignement des gencives, saignements vaginaux) qu’il convient de traiter symptomatiquement (lavage quotidien des fosses nasales avec du sérum physiologique, bains de bouche avec bicarbonate). Il est conseillé de réaliser un bilan complet dentaire et éventuellement des soins avant traitement. Un suivi de la fonction rénale (bilans sanguins et urinaires) est également mis en place : il faut contrôler avant chaque perfusion l’existence d’une protéinurie à la bandelette urinaire ; l’apparition d’un syndrome néphrotique avec une protéinurie› 3 g/24 heures, impose un avis néphrologique avant l’éventuelle poursuite du traitement.
Je préconise à mes patientes de signaler à l’oncologue ou au médecin traitant tout événement clinique qui « semble sortir de l’ordinaire ».
Parallèlement, un courrier est adressé au médecin traitant pour l’informer de cette prescription et des effets secondaires chroniques inhérents à ce traitement. Je souligne certains points, en particulier la surveillance étroite d’un traitement anticoagulant, l’aspirine à une dose supérieure à 325 mg/j doit être évitée et j’informe sur le risque faible (1 % à 3 %) d’accident thromboembolique essentiellement artériel, la phlébite n’est pas une contre-indication au traitement. L’ensemble de ces informations et conseils sont essentiels pour la réussite de la prise en charge.
Références bibliographiques :
1. Goldhirsh et al. Strategies for subtypes – dealing with the diversity of breast cancer : highlights of the St Gallen International Expert Consensus on the primary therapy of early breast cancer 2011. Ann oncol. 2011, 22:1736-1747.
2. Baselga J, et al. Everolimus in postmenopausal hormone-receptor-positive advanced breast cancer. N Engl J Med 2012;366:520-9.
3. Miller K, et al. Paclitaxel plus bevcizumab versus paclitaxel alone for metastatic breast cancer. N Engl J Med 2007 ; 357:2666-76.
4. Zielinski C et al. Essai Turandot. Abst 3170 . ESMO 2012.
5.Robert NJ et al. RIBBON-1 : randomised, double blind, placebo-controlled phase III trial of chemotherapy with or without bevacizumab for first-line treatment of Her2-negative locally recurrent or metastatic breast K. J Clin Oncol (meeting abstracts) 2009:27 (15s):1005.
6. RPC Nice Saint-Paul de Vence 2011. Oncologie 2011;13:758-777.
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