L’INCIDENCE du carcinome hépatocellulaire (CHC), cinquième cancer le plus fréquent, a été estimée à plus de 667 000 nouveaux cas dans le monde pour l’année 2005 (1). Sa progression est de 300 % depuis une vingtaine d’années en raison de l’augmentation du nombre de porteurs du virus de l’hépatite C, ce cancer survenant sur une cirrhose dans 90 % des cas. Sa gravité, sa résistance à la chimiothérapie et la précarité des fonctions hépatiques des patients rendent compte de son pronostic très péjoratif.
Les options chirurgicales.
La transplantation hépatique est la meilleure approche thérapeutique curative du CHC sur foie cirrhotique, car elle permet de traiter le cancer ainsi que la maladie hépatique sous-jacente. Elle concerne le CHC lorsqu’il respecte les critères de Milan (trois nodules de moins de 3 cm maximum ou un seul nodule de moins de 5 cm). Plusieurs études ont toutefois rapporté des taux de survie supérieurs à 50 % à cinq ans pour des carcinomes répondant à des critères plus larges, comme ceux de l'Université de Californie de San Francisco (UCSF). Selon ces critères, un seul nodule doit faire moins de 6,5 cm, ou trois nodules de moins de 4,5 cm maximum, avec une somme des diamètres inférieure à 8 cm (2). La résection chirurgicale est un traitement de choix en l’absence de cirrhose, voire chez le cirrhotique lorsque la fonction hépatique le permet. Les résultats de cette chirurgie sont liés au nombre et à la taille des nodules, mais aussi à la gravité de l’hépatopathie sous-jacente. La destruction percutanée par radiofréquence est habituellement réservée aux patients qui ne sont ni transplantables ni porteurs de tumeurs résécables. Les résultats les plus encourageants sont obtenus sur des carcinomes de 3 cm ou moins, qui sont néanmoins grevés des récidives de carcinome dans le foie restant, comme dans le cas de la résection. En cas de résection et de destruction percutanée, aucun traitement adjuvant n’est aujourd’hui validé. Des essais doivent ainsi être mis en uvre au plan national et international. A cet égard, une étude avec le sorafénib est actuellement en cours dans cette situation.
En cas de transplantation, notamment au-delà des critères de Milan, qui représentent 30 % des cas en France, il serait également utile de disposer d’un tel traitement.
Lorsque le traitement palliatif est le seul envisageable, la chimioembolisation est une option qui a fait la preuve de son efficacité, à la différence de la chimiothérapie, de l’immunothérapie, de l’hormonothérapie et de la radiothérapie. Elle est indiquée chez les patients en bon état général, dotés d'une bonne fonction hépatique, ayant un carcinome hépatocellulaire multinodulaire, en l’absence de métastases extrahépatiques et/ou de thrombose portale. En revanche, son intérêt est controversé dans les carcinomes sur cirrhose alcoolique, qui concernent la majorité des patients en France.
Deux innovations majeures.
Les « thérapeutiques ciblées », enfin, désignent des traitements dirigés contre des cibles moléculaires supposées jouer un rôle dans la transformation néoplasique de la cellule cancéreuse ou la croissance de la tumeur (3). Les taux de réponse des inhibiteurs des récepteurs à l’EGF, initialement utilisées, ont été marginaux. Les essais réalisés avec le bévacizumab, inhibiteur du VEGF de référence, ont montré des résultats (contrôle tumoral) dans des études de phases II. C’est dans ce contexte que se place le sorafénib, un inhibiteur multicible des protéine-kinases. Cette molécule induit une inhibition de la prolifération cellulaire et de l’angiogenèse. Dans l’étude SHARP (Sorafenib HCC Assessment Randomized Protocol), le sorafénib a été comparé au placebo chez 602 malades atteints de carcinome hépatocellulaire évolué (4), en très bon état général (OMS 0 ou 1) et classés A selon le score de Child-Pugh ; 70 % d’entre eux avaient un envahissement vasculaire macroscopique et/ou une extension extra-hépatique, ce qui contre-indiquait une chimioembolisation. Environ un patient sur deux n’avait jamais été traité, alors que les autres avaient fait l’objet d’une résection chirurgicale ou d’un traitement locorégional. Dans le groupe recevant le sorafénib, une réponse partielle a été constatée chez 2,3 % des patients. Le délai avant progression sous sorafénib a été de 5,5 mois, contre 2,8 mois sous placebo (p = 0,000007). La durée médiane de survie globale a atteint 10,7 mois dans le groupe sous sorafénib, contre 7,9 mois avec le placebo (intervalle de confiance à 95 % : 55-88 % ; p = 0,00058). La tolérance du sorafénib a été bonne dans l’ensemble. Près de 10 % des patients ont eu une diarrhée ou une toxicité cutanée (syndrome main-pied) de grade 3. Fait essentiel chez des patients le plus souvent cirrhotiques, la fréquence des accidents hémorragiques n'a pas été augmentée par cet anti-angiogénique multicible. Il faut souligner à ce propos que l’ambiguïté du terme « ciblées » par lequel sont désignées les thérapeutiques dirigées contre des cibles moléculaires supposées jouer un rôle dans la transformation néoplasique peut provoquer une certaine confusion (5), dans la mesure où le sorafénib est le premier représentant d’une classe prometteuse correspondant à un traitement « multicibles ». Cette ambiguïté est, de plus, renforcée par le concept émergent de facteurs prédictifs d’efficacité d’un médicament, c'est-à-dire de facteurs permettant de « cibler » des populations de patients à traiter chez lesquelles le bénéfice thérapeutique serait optimal. Or, aujourd’hui, aucun facteur prédictif d’efficacité n’a été mis en évidence avec le sorafénib. Enfin, les réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) constituent une démarche d’amélioration de la qualité des soins indiscutable. Elles apparaissent essentielles dans une pathologie comme l’hépatocarcinome dont la prise charge demande à côté des intervenants habituels (hépatologues, cancérologues, radiologues, chirurgiens et anatomo-pathologistes), des professionnels hyperspécialisés (chimio-embolisation, transplantation hépatique, etc.). C’est pour cette raison que de telles RCP n’existent que dans des centres experts.
› Dr GÉRARD BOZET
D’après un entretien avec le Pr Thierry André, Université Pierre et Marie Curie, Service d’hépato-gastro-entérologie, groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris.
Références
(1)Taieb J, et coll. Prise en charge thérapeutique du carcinome hépatocellulaire. Où en sommes-nous ? Où allons-nous ? Bull Cancer 2009 ; 96 (1) :19-34.
(2) Decaens T, et coll. Impact of UCSF criteria according to pre- and post-OLT tumor features: analysis of 479 patients listed for HCC with a short waiting time. Liver Transpl 2006 ; 12(12) : 1761-9.
(3) Blay JY. Les thérapeutiques ciblées du cancer : not lost in translation. Bull Cancer 2006 ; 93 (8) :799-804.
(4) Llovet JM, et coll., For the SHARP Investigators Study Group. Sorafenib in Advanced Hepatocellular Carcinoma. N Engl J Med 2008 ; 359 : 378-90. (5) André T. Thérapies ciblées en cancérologie. Une terminologie ambiguë. Rev Med Interne 2009 ; 30 : 391-2.
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?