LE QUOTIDIEN. Les combinaisons innovantes avec l’immunothérapie sont en plein essor. Quelle est la plus marquante ?
Pr CAROLINE ROBERT. En première ligne des mélanomes cutanés avancés, la nouveauté est l’association du nivolumab (anti-PD1) à un inhibiteur du point de contrôle immunitaire LAG3, le relatlimab. Elle a été testée, par rapport au nivolumab seul, dans l’essai de phase 3 RELATIVITY-047 mené sur 714 patients (1). Présentés au congrès de l’ASCO, les résultats, en termes de médiane de survie sans progression (SSP), étaient positifs (10,12 versus 4,63 mois, p = 0,0055), avec une réduction de 25 % du risque de progression (HR = 0,75). De plus, les toxicités sévères (grade ≥ 3) surviennent dans seulement 18 % des cas. Le rapport bénéfice-risque semble meilleur que celui de l’association de référence ipilimumab-nivolumab (IPI-NIVO), qui pourrait se faire ainsi détrôner. En cas de récidive, la progression en seconde ligne semble également moins importante chez les patients traités par relatlimab-nivolumab, que dans le bras nivolumab seul. Cette nouvelle association pourrait prochainement être homologuée aux États-Unis et obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) conditionnelle en Europe.
En néoadjuvant, la combinaison relatlimab-nivolumab a également été évaluée chez 29 patients (un seul bras d’étude). Les taux de réponses pathologiques complètes (RPC), ou presque complètes, atteignent 66 % (2). En cas de RPC, aucune récidive n’est observée, mais le recul est encore un peu faible. Néanmoins, cette combinaison semble aussi avoir un intérêt en néoadjuvant.
Par ailleurs, l’étude de phase 2 PLATforM (3,4) évalue le spartalizumab (anti-PD1) en association avec d'autres molécules : un anti-IL1-b, un anti-MET, un anti-CDK4/6 et un anti-LAG3 (ieralumab). Aucun des quatre bras n’a entraîné un effet significatif. Néanmoins, le taux de réponse avec l’anti-LAG3 a été jugé assez intéressant dans les mélanomes exprimant LAG3 pour étendre la cohorte de 50 patients supplémentaires (avec expression tumorale de LAG3). Les résultats sont en attente, mais c’est encore un signal intéressant en faveur de l’association anti-LAG3 et anti-PD1.
Quelles autres molécules pourraient également former une association synergique ?
Mené sur 29 patients, un petit essai de phase 2 associe un anti-IL6 (5), le tocilizumab, au protocole IPI-NIVO (avec une dose d’ipilimumab à 1 mg au lieu de 3 mg, combiné à 3 mg de nivolumab pendant les quatre premières injections, puis entretien avec le nivolumab seul jusqu’à un an). Le rationnel de l'essai est, d'une part, que l’expression de l’IL6 est un facteur de mauvais pronostic dans le mélanome et, d’autre part, que les effets secondaires des inhibiteurs de point de contrôle immunitaires peuvent parfois bénéficier d’un blocage de l’IL6. Ainsi, le tocilizumab pourrait améliorer le rapport bénéfice-risque de ces immunothérapies. Les taux de réponse sont encourageants (45,6 %) et la toxicité est moins importante qu’escompté à cette posologie (33,9 % de toxicité de grade 3-5).
Des études de phase 3 associant l’immunothérapie à l’IL2 pégylée ou au lenvatinib sont aussi attendues. Par contre, les résultats ne sont pas encourageants concernant la synergie de l’immunothérapie avec les injections intratumorales de T-VEC (en première ligne métastatique) ou d’agoniste de TLR9 (après échec à un anti-PD1). Aucune amélioration n’a été constatée dans les essais.
Pour une fois, le mélanome uvéal a été l’objet d’une avancée thérapeutique. Que faut-il en retenir ?
Le mélanome choroïdien est biologiquement très différent du mélanome cutané. Il présente peu de mutations et une faible sensibilité aux immunothérapies par points de contrôle immunitaire. Souvent associé à des métastases hépatiques de mauvais pronostic, il possède des mutations GNAQ ou GNA11, pour lesquelles nous n’avons pas de traitement ciblé. Mais lors du dernier congrès de l’ASCO, une molécule chimérique bispécifique, le tebentafusp, s’est fait remarquer. Elle se lie au CD3 (exprimé sur les lymphocytes T) et au complexe d’un des peptides de gp100 (présenté sur la molécule HLA de classe 1 : A2). L’essai de phase 3 (6), mené chez 378 patients exprimant HLA-A2 (80 % des patients), a évalué cette nouvelle thérapie, versus un bras contrôle (pembrolizumab, ipilimumab ou dacarbazine en monothérapie, au choix de l’investigateur). Les résultats montrent un gain significatif, en survie globale à un an, avec le tebentafusp : 73 % versus 59 %, (HR = 0,51, p < 0,001). Étonnamment, le taux de réponse est très médiocre (9 %). Ainsi, certains patients non répondeurs sous tebentafusp survivent plus longtemps alors qu’ils sont toujours en progression… Au congrès de l’ESMO, des analyses complémentaires à l’étude préalable de phase 2 ont montré que le bénéfice en survie est assez bien corrélé à la diminution de l’ADN circulant, beaucoup mieux que les taux de réponses évalués selon les critères RECIST. Cette étude, avec des résultats remarquables, ouvre le champ des molécules chimériques bispécifiques et devrait permettre l’obtention d’une AMM pour le tebentafusp dans le mélanome choroidien.
Enfin, comment évolue la stratégie thérapeutique dans les mélanomes cutanés BRAF mutés ?
Un essai international de phase 2, SECOMBI (7), a évalué différentes stratégies thérapeutiques dans les formes BRAF mutées, en première ligne métastatique. Les trois bras de traitements sont :
• thérapie ciblée encorafénib-bénimétinib (ENCO-BENI), suivie en cas de progression par l’immunothérapie IPI-NIVO ;
• IPI-NIVO, suivi de ENCO-BENI si progression ;
• ENCO-BENI pendant deux mois, puis IPI-NIVO, suivi en cas d’échec par ENCO-BENI.
Les résultats étaient meilleurs dans les deux derniers bras. Cela n’incite donc pas à commencer par la thérapie ciblée uniquement, mais par l’immunothérapie ou y passer avant progression. Par contre, il n’y a pas encore d’éléments différenciant ces deux derniers bras.
(1) Lipson EJ et al,.ASCO 2021, abstr 9503
(2) Amaria RN et al. ASCO 2021, abstr 9502
(3) Robert C et al. AACR 2019, Abstr CT120
(4) Robert C et al. ESMO 2021, Abstr 1084P
(5) Nehmi I et al. ASCO 2021, Abstr TPS9589
(6) Nathan P et al. N Engl J Med 2021; 385:1196-1206
(7) Ascierto et al. ESMO 2021, Abstr LBA 40
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