Est-il possible de se passer de la chirurgie axillaire dans le cancer du sein invasif à faible risque sans compromettre le pronostic ? C’est ce que tend à montrer l’essai allemand Insema dans les formes précoces du cancer du sein infiltrant sans adénopathie clinique. Avec un suivi de six ans en médiane, le fait de ne pas réaliser de stadification chirurgicale axillaire pour des tumeurs T1 ou T2 (≤ 5 cm) se révèle non inférieur pour la survie (globale et sans maladie) à la stratégie standard avec ganglion sentinelle, chez des femmes traitées par tumorectomie.
Ces premiers résultats, présentés au dernier congrès de San Antonio fin 2024 et publiés dans The New England Journal of Medicine (1), vont dans le sens de l’essai Sound, qui a montré que l’abstention de chirurgie axillaire était non inférieure à la biopsie du ganglion sentinelle chez les patientes avec de petits cancers (jusqu’à deux centimètres).
Depuis l’essai Acosog Z0011 de 2011, qui a montré l’absence de bénéfice du curage ganglionnaire par rapport à la technique du ganglion sentinelle chez les femmes ayant un envahissement jusqu’à deux ganglions, quatre essais randomisés de désescalade ont été lancés pour explorer l’absence de biopsie du ganglion sentinelle chez les patientes sans adénopathie clinique traitées par chirurgie conservatrice. Outre l’essai Sound publié en 2012, deux autres sont en cours : Boog et Nautilus, dont les résultats sont attendus respectivement en 2025 et en 2027.
Absence d’atteinte ganglionnaire clinique
Dans Insema financé par le German Cancer Aid, le critère choisi pour montrer la non-infériorité de l’abstention de la technique du ganglion sentinelle était composite, reposant sur un taux de survie sans maladie à cinq ans d’au moins 85 % et une limite supérieure de l’intervalle de confiance pour le risque de maladie invasive ou de décès en dessous de 1,271. Les patientes incluses présentaient un cancer du sein infiltrant de stade T1 ou T2 (≤ 5 cm) et un statut axillaire négatif cliniquement (cN0) et à l’imagerie (iN0).
Pendant le suivi, un examen clinique était réalisé tous les six mois pendant les trois premières années et une fois par an ensuite. Le bilan sénologique (mammographie + échographie) était annuel. En per protocole, l’essai a inclus 4 858 patientes qui ont été randomisées selon un ratio 1:4 (962 dans le groupe sans chirurgie axillaire et 3 896 dans le groupe avec biopsie du ganglion sentinelle). Le suivi médian était de 73,6 mois.
Moins d’effets indésirables
En résultat principal, il ne ressort pas de différence statistiquement significative pour la survie sans maladie invasive à cinq ans entre le groupe chirurgie (91,7 %) et le groupe sans chirurgie (91,9 %), avec un hazard ratio de 0,91 (IC95 %, 0,73 à 1,14), soit inférieur à la marge prédéfinie. Quant à la survenue de maladie invasive ou de décès (525 patientes au total, 10,8 %), l’analyse a montré des différences entre les groupes sans et avec chirurgie pour l’incidence de rechute axillaire (1,0 % versus 0,3 %) et pour les décès (1,4 % versus 2,4 %), ce qui « mérite d’être mentionné même si l’incidence reste faible dans les deux groupes », écrivent les auteurs.
Par ailleurs, le groupe sans chirurgie axillaire a présenté moins de lymphœdèmes, une plus grande mobilité du bras et moins de douleurs au mouvement du bras et de l’épaule. Le recrutement a été plus court que prévu (< 4 ans) et l’analyse en intention de traiter a conclu à la non-infériorité comme celle en per protocole.
Une population plus restreinte que le protocole
Pour autant, les auteurs ne prennent pas leurs résultats pour argent comptant. Tout d’abord, même s’il n’y avait pas de critères restrictifs d’éligibilité, 95 % des femmes incluses présentaient des récepteurs hormonaux positifs, un statut HER2 négatif et près de 90 % des femmes étaient ménopausées.
Cette sélection de femmes âgées reflète l’importance du statut axillaire pour le choix de la thérapie systémique pour les cancers avec surexpression HER2 ou triples négatifs, ainsi que pour les cancers hormonodépendants et HER2 négatifs chez les femmes non ménopausées. Ainsi, l’essai a inclus peu de tumeurs de haut grade G3, sachant que les cancers à plus haut risque (HER2 positifs, triples négatifs) peuvent être candidats à une thérapie systémique néoadjuvante.
Sans compter que, pour ces G3, le statut axillaire est un facteur important pour décider de la chimiothérapie (les signatures multigéniques comme Oncotype DX, Mammaprint n’étaient pas disponibles lors du recrutement). De plus, l’essai, dans lequel étaient éligibles des cancers jusqu’à cinq centimètres, en a finalement inclus peu de plus de deux centimètres (seulement 20 %) ; la taille médiane tumorale était de 11 mm.
Un plan de traitement à redéfinir en globalité
Autre enjeu, le statut axillaire permet de poser l’indication de radiothérapie axillaire en cas de positivité, ainsi que pour la désescalade (irradiation partielle ou abstention d’irradiation mammaire totale) en cas de négativité. « Les conséquences potentielles de l’absence de biopsie par ganglion sentinelle pour la radiothérapie postopératoire doivent être mises en balance avec les bénéfices en termes d’amélioration de la qualité de vie et le risque réduit de complications à court et long termes », estiment les auteurs.
L’avis des patientes est nécessaire pour la désescalade alors que nous sommes face à un choix croissant d’options pour l’abstention thérapeutique
Dr Monica Morrow, Memorial Sloan Kettering Cancer Center (New York)
Au total, l’ensemble de ces éléments font conclure aux auteurs que s’abstenir de la biopsie du ganglion sentinelle pourrait être une option envisageable mais pour une population plus restreinte que l’étude, afin de ne pas compromettre le pronostic : pour les femmes de 50 ans ou plus qui présentent un cancer invasif T1 à bas risque (grade G1 ou G2), hormonodépendant, HER2 négatif.
Dans un éditorial associé (2), la Dr Monica Morrow chirurgienne au Memorial Sloan Kettering Cancer Center à New York, ajoute qu’une façon de minimiser le risque de sous-traitement dans cette sous-population est de proposer la biopsie du ganglion sentinelle si l’examen anatomopathologique de la pièce chirurgicale retrouve des facteurs de mauvais pronostic (tumeur plus large T2, de haut grade ou avec invasion lymphovasculaire). Mais pour elle, une désescalade bien conduite doit surtout prendre en compte « l’ensemble du plan de traitement ». Il est ainsi nécessaire de recueillir l’avis des patientes « pour déterminer quelles thérapies elles préfèrent mettre en désescalade alors que nous sommes face à un choix croissant d’options pour l’abstention thérapeutique », écrit-elle en conclusion.
(1) T. Reimer et al., N Engl J Med, 2025;392:1051-1064
(2) M. Morrow et al., N Engl J Med, 2025 ;392:1134-1136
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