La grande concertation citoyenne et scientifique lancée il y a un an par Marisol Touraine en réponse aux controverses allait-elle sonner le glas du dépistage organisé (DO) du cancer du sein ? Ce coup de théâtre retentissant, « un cas d'école » selon l'INCa, a été envisagé, lors de la réflexion, le temps d'un instant, au profit d'un dépistage purement individuel. Mais il en sera autrement.
C'est un deuxième scénario bien plus consensuel et moins générateur d'iniquités et de pertes de chances qui est proposé à la ministre dans le rapport remis le 16 septembre. En ce début d'Octobre Rose, Marisol Touraine a annoncé engager la modernisation du programme tout en saluant par ailleurs cette mobilisation internationale. Les modalités de « cette rénovation profonde » seront précisées à la fin de l'année par la ministre.
Une DO perfectible
« Le discours doit être renouvelé, explique le Pr Norbert Ifrah, président de l'INCa. Depuis la conception du DO, des questions nouvelles se posent et le temps était venu de faire un point. Ce n'est pas au motif que le DO est perfectible qu'il faut le supprimer. L'information doit être complète et équilibrée ». Pour le président de l'INCa, cette modernisation s'inscrit dans une démarche d'éthique sociétale, mettant en œuvre les notions de bienfaisance, d'équité et d'autonomie. « Toute la difficulté sera de porter le projet sur l'ensemble du territoire, explique-t-il. Il faut des moyens humains et des relais faisant preuve de force de conviction ».
Alors que la couverture du DO stagne en France à 50 % depuis 8 ans, pour un objectif européen de 70 %, du fait de la coexistence d'un dépistage individuel (10-15 %), l'information sur les limites ne risque-t-elle pas d'entraîner un désintérêt, une perte de crédibilité et in fine une baisse de participation ? Ce n'est pas l'avis du Pr Norbert Ifrah. « Les personnes concernées doivent être traitées en sujets adultes, c'est la base de la confiance. C'est une démarche de vérité de dire les limites de ce qu'on sait et que le savoir n'est pas figé », estime-t-il.
Approche personnalisée et une information complète
Un des éléments importants de la rénovation repose sur l'approche personnalisée et une information complète « pour que les femmes deviennent encore plus actrices et décideuses du dépistage », estime Norbert Ifrah. Sur ce point, les deux scénarios fort différents se rejoignent et conçoivent le dépistage dans le cadre d'une relation médicale individualisée.
Le médecin traitant, qui est « clairement dans la boucle », précise le président de l'INCa, est désigné comme un interlocuteur de choix pour la prise de décision. Les facteurs de risque seront recherchés et les événements de vie pris en ligne de compte. « Certaines femmes sont anormalement anxieuses et d'autres anormalement peu concernées », commente Norbert Ifrah. Parfois, ce n'est tout simplement pas le moment ». Le nouveau programme prévoit également une consultation de prévention et de dépistage à l'âge de 40 ans. D'autres modalités d'entrée dans le DO sont en cours de réflexion, notamment via les PASS pour les populations très précaires.
Aujourd'hui, une prise en charge personnalisée est prévue pour les femmes à risque aggravé, femmes à risque élevé (antécédents personnels de cancer du sein, hyperplasie atypique canalaire ou lobulaire), ou très élevé (maladie de Hodgkin avec irradiation thoracique, antécédents familiaux de cancer du sein ou de l'ovaire avec calcul du score d'Eisinger). « Le médecin généraliste devra réexpliquer la différence entre le DO et le dépistage individualisé dans le cadre d'un surrisque, explique Norbert Ifrah. Même s'il est vrai que le cloisonnement entre ces deux dépistages est un peu artificiel car ils mettent en scène les mêmes acteurs ». Le cadre du DO est plus souple, mais reste conservé chez les femmes âgées de 50 à 74 ans.
Le rapport reconnaît sans ambages les limites et les incertitudes liées au DO, et l'INCa veut aller plus loin que le discours de vérité déjà entrepris à ce sujet par le passé. Bénéfices moins importants qu'espérés, faux positifs, cancers de l'intervalle, surdiagnostic, surtraitement, risque de cancers radio-induits, le dépistage n'est effectivement pas parfait ni sans risques. C'est « en connaissance de cause » que les femmes doivent décider de le réaliser.
En pratique, l'invitation envoyée par courrier en fera état, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, avec la proposition d'un temps de discussion avec le médecin traitant. « Le courrier envoyé aux femmes n'a pas à être très différent de celui des médecins, explique Norbert Ifrah. Le courrier sera harmonisé pour une information complète et actualisée. Les médecins généralistes sauront jouer leur rôle ».
Des outils spécifiques sont en cours d'élaboration pour les médecins avec le Collège des médecins généralistes. L'interprétation des chiffres est importante pour comprendre les enjeux. Par exemple, « pour le risque de faux positifs estimé à 2 %, cela signifie qu'une femme a une chance sur 4 ou sur 5 sur l'ensemble des 12 mammos de la durée du DO », illustre le président de l'INCa. L'accompagnement par le médecin traitant permet de « réhumaniser le discours. Les mots n'ont pas le même sens selon le moment et la culture », illustre Norbert Ifrah.
Pour le président de l'INCa, il faut garder en tête que le « DO a beaucoup de sens. La mortalité par cancer du sein a chuté de façon drastique, près de 87 % des femmes sont vivantes à 5 ans. Ce n'est pas que le fait de l'amélioration des traitements. Il est faux de dire que le DO n'y est pour rien. Tous les pays industrialisés ont mis en place un DO ».
D'autres points d'amélioration sont présentés. L'INCa propose d'aligner la qualité du dépistage individuel sur celles du DO. « La deuxième lecture deviendrait obligatoire en cas d'examen négatif, indique Norbert Ifrah. À terme, les femmes pourraient se poser la question du dépistage individuel ». La prise en charge de l'échographie de complément devrait également prise en charge à 100 %.
Le nouveau programme prévoit un volet recherche. « Il faut évaluer ce qui est fait, commente Norbert Ifrah. Les outils modernes vont sans doute nous permettre de prédire l'agressivité d'un cancer. Ce serait une piste pour lutter contre le surtraitement. Il faut intégrer tous les savoirs, de la médecine aux sciences humaines, aux conditions de vie et à l'environnement. Quels sont les freins psychologiques au dépistage ? ». De nombreuses nouvelles techniques d'imagerie sont à l'étude.
Concernant les facteurs de risque, le président de l'INCa estime « qu'il en existe de très puissants, les antécédents familiaux décrits pour le risque très élevé », mais aussi beaucoup d'autres dont l'impact réel est moins connu, tels que l'obésité, le traitement hormonal substitutif, l'alcool, ménopause tardive et tous ceux liés à l'environnement au sens large. « Les femmes asiatiques, qui ont un risque cinq à dix fois moindre de cancer du sein, rejoignent, une fois installées aux États-Unis, le niveau de risque des femmes américaines, on ne peut pas dire que l'environnement ne joue pas un rôle, explique-t-il. Dire que l'évaluation n'est pas facile, ne veut pas dire que ça n'existe pas. L'INCa s'en préoccupe beaucoup ».
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