« Les premiers symptômes devant alerter les patients sont des phosphènes (éclairs brillants) persistants », explique la Pr Nathalie Cassoux, chef du service d’oncologie oculaire à l’Institut Curie. Il existe ensuite deux situations :
- En cas de tumeur périphérique, le diagnostic est souvent tardif. En effet, le patient peut rester longtemps asymptomatique avant que la lésion n’atteigne les centres de la vision (macula et nerf optique), entraînant une amputation du champ visuel et une baisse de la vue.
- Quand la tumeur est d’emblée proche des centres de la vision, le diagnostic est plus précoce car les symptômes surviennent rapidement : flou, baisse d’acuité visuelle, métamorphopsies…
« Le patient n’est pas toujours diagnostiqué à temps, dû aux longs délais pour obtenir un rendez-vous chez l’ophtalmologue, déplore la Pr Cassoux. Il faudrait améliorer l’accès aux spécialistes ».
30% de métastases à 5 ans
« On a toutes les chances de guérir le patient et de conserver l’acuité visuelle, en traitant des tumeurs de petites tailles situées au-delà de 3 mm autour du nerf optique et de la macula, explique l’onco-ophtalmologue. Par contre, si le diagnostic est tardif avec une volumineuse masse tumorale, on doit soit énucléer, soit irradier mais avec des séquelles visuelles majeures ».
Et plus la tumeur est épaisse, plus le risque de développer des métastases augmente. Toutes tumeurs confondues, il est de 30 % à 5 ans mais le pronostic peut varier en fonction de la génomique. Si la cellule tumorale a perdu un des deux chromosomes 3 et gagné le chromosome 8 q, le risque de métastases à 5 ans passe à 80 %. Par contre, si les patients n’ont aucune de ces modifications chromosomiques, il est de moins de 20 %. Par ailleurs, outre la mutation initiatrice des gènes Gna (GNAQ ou GNA11), la tumeur peut ensuite acquérir une mutation BAP1 (sur le chromosome 3), exposant le patient à un risque élevé de métastases, ou une autre mutation (SF3B1, EIF1AX) à plus faible risque de dissémination métastatique.
« Pour évaluer le risque et adapter le suivi, on propose aux patients, dont la tumeur est accessible à la biopsie, un prélèvement avant irradiation ». En effet, 80 % des métastases étant localisées au niveau du foie, les patients à hauts risques vont avoir une surveillance hépatique intensive : IRM et suivi oncologique tous les 3 mois. Quant aux patients à bas risques, ils n’auront qu’une échographie hépatique tous les 6 mois.
Privilégier les traitements conservateurs
En cas de tumeur volumineuse, l’énucléation est nécessaire. Sinon, les traitements conservateurs sont privilégiés : protonthérapie pour la majorité des patients ou curiethérapie par disque d’iode dans certains cas (tumeur projetée en regard de la glande lacrymale par exemple) ; le choix dépendant du positionnement de la tumeur dans l’œil. « La protonthérapie permet une irradiation ultra-précise, avec une dosimétrie bien meilleure que le disque d’iode, et d’obtenir 96 % à 98 % de contrôle local ». Néanmoins, beaucoup de pays ne disposant pas de cette technique, le disque radioactif est encore très utilisé à l’étranger.
Avec un temps de doublement cellulaire très lent, le mélanome de l’uvée est très radiorésistant et chimiorésistant. Une très forte dose étant nécessaire pour détruire la tumeur, une irradiation conventionnelle serait trop toxique pour l’œil. Par contre, une protonthérapie ultra-ciblée est possible et va distribuer une forte dose de façon homogène au sein de la tumeur, sans irradier les zones à l’arrière (orbite, cerveau…). Quant au disque d’iode, il va irradier jusqu’au sommet de la tumeur, mais la sclère à la base est surirradiée, ce qui peut provoquer des nécroses sclérales sur les grosses tumeurs.
Sur la maladie métastatique, la chimiothérapie est inefficace, l’immunothérapie fonctionne chez moins de 5 % des malades (présentant la mutation MBD4) et la thérapie ciblée s’est avérée décevante. « S’il existe peu de métastases hépatiques localisées, le seul traitement améliorant la survie est un suivi intensif et une chirurgie combinée à la radiofréquence, précise la Pr Cassoux. Par contre, si l’atteinte du foie est diffuse, nous manquons d’option thérapeutique efficace ».
Favoriser l’accès aux centres experts
Grâce à un financement de l’INCa, une organisation en réseau a été mise en place. « En France, on a la chance d’avoir deux centres de protonthérapie habilités à traiter les tumeurs oculaires : l’Institut Curie à Orsay et le Centre Antoine-Lacassagne de Nice. Les patients reçoivent leur traitement environ 3 à 4 semaines après l’adressage par l’ophtalmologue ». Il existe également 7 centres de compétence en région (Rennes, Bordeaux, Clermont-Ferrand, Nice, Lille, Lyon et Strasbourg), qui sont capables de diagnostiquer, poser les clips de repérage 10 jours avant l’irradiation, adresser le patient au centre de protonthérapie pour le traitement (4 séances sur 5 jours consécutifs), puis faire le suivi. « Il est impératif que les patients soient adressés dans un centre expert garant de la qualité de la prise en charge, d’où la nécessité de rembourser les transports », insiste l’onco-ophtalmologue.
Des perspectives thérapeutiques ?
À Orsay, un projet de protonthérapie par flash est à l’étude. L’objectif est de réduire les effets secondaires sur les tissus sains, en conservant une aussi bonne efficacité que par protonthérapie. « Nous avons également un groupe de recherche translationnelle dédié au mélanome uvéal ». De plus, l’Institut Curie est coordinateur européen du programme-cadre H2020 pour la recherche sur ces tumeurs, UM Cure 2020. Doté d'un financement de 6 millions d'euros et impliquant 11 partenaires européens, il est dédié à la recherche des cibles thérapeutiques et de biomarqueurs, via l’analyse de prélèvements tumoraux. « Notre but est de trouver un traitement efficace sur la maladie métastatique. Nous cherchons à comprendre la voie de signalisation tumorale pour la bloquer grâce à des inhibiteurs des voies MAP kinase, mTOR, YAP… Ces molécules inhibitrices sont actuellement étudiées sur des cultures cellulaires, avant de pouvoir les tester sur des modèles animaux ».
D’après un entretien avec la Pr Nathalie Cassoux, chef du service d’oncologie oculaire à l’Institut Curie, professeur à l’Université de Paris
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